Chapitre 20

1 0 0
                                    

   Nous rentrons à la villa tous revigorés de cette expérience. Chacun y va de sa petite histoire et de son ressenti. Il y a ceux qui s'en tiennent aux faits et il y a les autres. Mon cousin Charles n'en finit pas de venter la performance du meneur en la personne de mon père, qui lui de son côté, se redressant à chaque compliment, a pris au moins dix centimètres de plus. « Tu as été incroyable! » , « tu nous avais caché tes talents ! », « tu es le pro du rafting ! ». Il essaie de rester détaché et humble mais je sens se dégager de lui un orgueil mesuré. À ce rythme-là, il allait se frapper la poitrine à grand coup de poing. Bon ! C'est vrai... J'avoue avoir été moi même bluffée. Il n'est pas prêt à redescendre de sitôt de son nuage. C'est son moment.

Et il y a Julie... Elle s'est installée dans un fauteuil de la terrasse, la mine accablée. Julie a une version bien à elle. Encore toute tremblante, les genoux ramenés sous le menton, elle nous livre sa version. « Rivière déchaînée... un monstre », « j'ai cru mourir », « des tonnes d'eau et des rochers aussi hauts qu'un gratte-ciel », « le courant était incontrôlable et le radeau allait aussi vite qu'un train lancé à vive allure ».

— Je pense que tu exagères un peu, la taquine Vic.

— Exagérer ? Rien qu'un peu ? s'exclame-t-elle. Évidemment... tu n'as rien vu de tout ça ! Tu te préoccupais de ta bronzette.

Mon frère, de son côté, affirme avoir eu la plus mauvaise équipe. La compétition, c'est son truc. On ne rigole pas avec ça. Son amour-propre en a pris un coup. Être coiffé au poteau par son propre père... c'est moche ! C'est le moment que je choisis pour me venger. Je n'ai pas oublié l'immonde vidéo de ma bave sur le chemin des vacances.

— Effectivement, quelle performance désastreuse ! Mais ne t'inquiète pas mon frère chéri... tu vas avoir tout le loisir de revivre la scène aussi souvent que tu le voudras, lui exclamé-je en levant le caméscope, triomphante. Et pourquoi pas, prendre des notes pour t'améliorer !

Il me jette un regard menaçant. Je l'embrasse sur la joue et lui chuchotte :

— 1 partout !

Avec mon doigt, je dessine une ligne imaginaire sur mon menton pour lui rappeler cet épisode humiliant. Il en reste complètement hébété. Sa petite sœur si sage et prévisible était capable de vengeance. Ça me fait penser à une autre citation de grand-père. « Parfois, la meilleure vengeance est de sourire et de passer à autre chose ». Désolée papy ! J'ai échoué lamentablement.

— Je vois... le ton est donné. Message reçu. Surprenante microbe !

Soudain, au milieu de tous ces vivants commentaires, nous parviennent des cris venant de l'intérieur de la villa. Le constat est sans équivoque. Ce n'étaient pas des cris de joie mais des insultes. Nous restons pendant plusieurs secondes immobiles, comme cloués au sol. Chacun regarde son voisin de droite et de gauche pour repérer ceux qui manquaient à l'appel. Ne voyant pas leurs compagnes respectives, mon père et mon oncle sont les premiers à se précipiter vers les hurlements. Le reste du groupe comprend aussitôt et nous voilà tous en train de courir à leur suite. J'arrive dans les dernières redoutant ce que je m'apprêtais à voir. J'ai souvent vu ma mère s'emporter durant mon enfance. Je sais donc de quoi elle était capable. Je me souviens de quelques-unes de ses victimes comme cette pauvre caissière. Elle n'avait pas voulu prendre un bon de réduction que lui présentait ma mère étant dépassé d'une journée et par conséquent plus valable. Maman n'avait rien voulu entendre. La jeune fille, dotée d'une énergie de lamantin, prenait son temps pour expliquer le pourquoi de son refus. C'était sans connaître l'entêtement de Béatrice Valet. Alerté par les cris de ma chère procréatrice, l'agent de sécurité s'était approché et insistait pour qu'elle règle la caissière sous peine d'un échange avec le directeur. Pas intimidée une seconde, elle lui a craché qu'elle espérait bien le rencontrer et lui faire part de l'incompétence de son personnel. Nous avons effectivement fini dans le bureau de ce dernier. Cette femme possédait la ténacité d'un bouledogue. Quand elle plantait ses dents dans l'os, elle ne le lâchait plus. Depuis cet épisode, je ne suis plus jamais entrée dans une grande surface l'esprit serein, croyant, qu'à tout moment un agent allait me sauter dessus et hurler : « C'est elle ! C'est sa fille ! Appelez les flics ! ».

Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant