Chapitre 7

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La semaine se déroule sur le même rythme.

Dix heures... rayons. Rentrer chez moi. Ranger deux ou trois bricoles. Ma cuisine ne m'a toujours pas autorisée à franchir sa porte. Répondre aux SMS de Vic. Appeler mes parents. Prendre la voix de la Kristelle enjouée. Essayer de me concentrer sur un film. J'ai abandonné les livres. Relire le même chapitre plusieurs fois finirait par anéantir mes dernières capacités intellectuelles.

Je découvrais les effets secondaires de la radiothérapie. Essayer de manger. Difficile avec les nausées. Dormir une bonne partie de l'après-midi... ce qui ne m'empêchait pas de me sentir continuellement fatiguée.

Fin de semaine. Mon frère m'appelle.

— Salut microbe !

Romain. Mon grand frère de cinq ans mon aîné. Un vrai roc. Sportif, volontaire, ambitieux, courageux, compétitif, positif, fiable et droit. Un vrai modèle pour moi. Tout ce qu'il fait... tout ce qu'il entreprend... il le réussit. Il s'était marié à vingt-trois ans avec l'amour de sa vie, Julie. Une pépite. Ils avaient eu une fille. Anna. Ma filleule. Une splendide adolescente avec un caractère bien affirmé.

— Alors cette grippe ? Je viens d'avoir les parents au téléphone.

— Je l'ai vaincue, je lui dis la gorge nouée.

— Mon p'tit microbe a tué le gros microbe !

Il éclate de rire.

— Très drôle frangin ! Tu sais que j'ai un prénom ? Et je ne suis pas aussi petite que tu le prétends.

Il m'appelait ainsi depuis ma naissance. Notre grand-père paternel, aujourd'hui décédé, était laborantin d'analyses médicales. Peu de temps avant ma naissance, papy Philippe lui avait expliqué sa profession et son importance. Romain avait été captivé par l'existence des microbes. Quand je suis née, les premiers mots de Romain en me voyant furent : « elle est comme les "bicrobes" de papy... Tout' p'tite ». Merci papy ! Ce n'était sans doute pas le but mais tes explications ont profondément marqué mon imbécile de grand frère. J'adorais mon grand-père. Il était affectueux, généreux et tellement intelligent. Aujourd'hui, quand je pense à lui, ce sont ses remarquables citations . Soit il les inventait, soit elles provenaient de personnages connus. Il était intarissable. J'en ai tout un stock en réserve. Après une journée d'école, je me souviens lui avoir expliqué : « papy ! J'ai un ami qui a dit du mal de moi aujourd'hui » et lui de répondre : « pauvre est celui qui détruit les autres... la méchanceté n'a jamais rendu une personne plus heureuse ». À cinq ans, c'est du charabia. À dix ans, on essaie de comprendre sans y arriver. À seize ans, ça nous gonfle. Adulte, ça prend tout son sens.

— Tu plaisantes ? Tu es haute comme un Lilliputien.

— Tout le monde ressemble à un Lilliputien comparé à toi.

Romain mesurait un mètre quatre-vingt-quinze. Un Géant.

— Comment vont ta petite femme et ma merveilleuse nièce ?

— Julie court les boutiques pour nous faire « un foyer moderne et confortable ». Ce sont ses propres mots. Entre toi et moi, je pense qu'elle en fait un peu trop.

Ils venaient juste de déménager dans une maison beaucoup plus spacieuse que la précédente. Dès qu'ils l'avaient achetée, Julie savait exactement ce qu'elle en ferait. On pouvait lui faire confiance, ça serait une réussite.

— Arrête... Te connaissant, tu seras bien content de rentrer chez toi et de t'affaler dans un superbe et confortable fauteuil avec une bière à la main que ton adorable femme t'apportera.

— Pourquoi j'ai l'impression de passer pour un macho et un tyran à t'écouter ?

— Parce que tu en es un ?

— Microbe ! Ne me cherche pas.

J'adorais jouer au chat et à la souris avec mon frère. À cet instant, plus encore.

— OK j'arrête. Et Anna ?

— Je ne vois pas de qui tu parles ! me dit-il en prenant un ton évasif.

— Je vois... Attends ! Je vais essayer de te rafraîchir la mémoire. Jolie blonde aux yeux bleus, un mètre soixante-quinze... seize ans...

— Ah oui ! L'ado qui vit chez nous ? Qui grogne dès qu'on lui demande quelque chose et qui a l'air de croire que notre maison est un hôtel ? Eh bien écoute... elle se porte comme un charme malgré le fait que nous venons de lui refuser de partir en vacances avec ses amis cet été. Pour le coup, c'est la soupe à la grimace tous les soirs. D'ailleurs, si tu l'as prochainement au téléphone, ne te prive pas de disposer à volonté de ton rôle de marraine.

— T'es sérieux ? Ah non ! Tu te démerdes. Quand j'ai signé le registre, je t'ai fait promettre que je n'aurais que le rôle de la super tata trop cool.

— Pffff ! Lâcheuse. On se voit quand ? Ce week-end end ?

— Non, je ne peux pas.

J'étais vraiment et définitivement à plat. Les vendredis, je faisais le point avec ma cancérologue, madame Mouffoir. Je l'ai vu ce matin. Elle m'a confirmé que mon affaiblissement était dû aux séances de rayons. Très souvent, au bout d'une dizaine de jours, le patient s'habitue et retrouve un peu d'énergie. Elle m'avait prescrit également une quantité impressionnante de vitamines et de cachets pour pallier à mes défaillances. Comme mes pertes de mémoire, ma vue qui me trahissait, mes maux de tête et mes satanés membres qui n'obéissaient pas toujours.

— Le week-end prochain, je serai tout à toi.

En espérant avoir une meilleure mine. J'aurais alors déjà, deux semaines de rayons.

— OK. On fait comme ça et je dirai à maman et papa de venir. Je les appelle tout de suite. Bon ! À plus microbe.

— Salut frangin. Embrasse les filles pour moi.

Et il raccroche.

Week-end prochain ! Le compte à rebours est désormais en route. Je peux le faire. Je dois réussir.

Demain samedi.

Qu'est-ce que j'allaisfaire de mon week-end ?


Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant