Chapitre 28

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   Je me réjouissais de ma réussite. Je suis celle qui pouvait faire face. Celle qui arrange tout. Je suis Pascal le grand frère...  Michaela Quinn et sa détermination. Une vraie pro. 

OK ! Quelques heures plus tôt, je ne me la ramenais pas autant. J'étais même à la limite d'implorer « la grosse Bertha » d'en finir sur le chant. Ça, c'est mon côté petite baisse de confiance. Oh ça va ! Juste un petit coup de mou. 

Mon oncle Éric est venu me remercier. Il n'en revenait pas. La métamorphose l'impressionnait. Il avait demandé à sa compagne ce qu'il s'était passé dans la cave. Elle n'a rien voulu lui dire. « Ce sont nos affaires », a-t-il eu pour toute réponse. De son côté, mon père avait lui aussi cherché à en savoir plus. Fiasco total ! Sidonie n'était plus considérée comme la personne à abattre. Elles ne se quittaient plus. Elles rigolaient aux mêmes blagues, se levaient en même temps pour aller chercher les plats, se concertaient sur tout et sur rien. Habitués aux tensions, nous devons tout simplement nous désintoxiquer. Ce changement entraînait des répercussions sur tout le monde. L'ambiance générale semblait totalement différente. Plus légère, apaisante et douce. Comme après un orage, l'air électrique s'était complètement dissipé.

Ça fait maintenant plus d'une heure que nous avons tous retrouvé nos chambres pour la nuit. Je suis plongée dans mon roman. Il m'avait fallu plusieurs minutes pour m'installer confortablement mais surtout allumer toutes les sources de lumière que pouvait fournir cette pièce. Ma vision foutait carrément le camp. Un peu plus chaque jour. Ce soir, mes yeux se croisaient carrément les bras en signe de mauvaise volonté.

On toque à la porte quelques coups à peine audibles.

— Oui !

Tel un petit vieux ratatiné, mon frère entre dans ma chambre sur la pointe des pieds. Il a son index posé sur ses lèvres m'intimant au silence. J'étouffe un ricanement à travers mon pull. La scène valait le coup. Un mètre quatre-vingt-quinze à contorsionner... pas si simple de toute évidence.

— Hey microbe ! Il faut que tu... -Il s'arrête d'un coup et se redresse de tout son long-. Merde frangine ! C'est fini le 14 juillet ! Tu fais quoi avec toutes ses lumières ?

— Tu ne vois pas que je suis en train de lire ? Idiot !

Bien évidemment, je n'allais pas lui balancer au visage que sa petite sœur chérie perdait la vue. Il prend un air surpris. Tous mes sens sont en alerte. Ne pas lui laisser le temps de cogiter.

— Bon, je suppose que tu n'es pas venu me voir pour me parler de mes excès d'énergie ? Alors, crache ta « Valda » car je suis en plein dans le dénouement de l'histoire où je vais enfin apprendre lequel de James ou Christopher, la belle Dorothée en pince.

— Lâche Récré A2 et suis-moi.

— Romain ! Non ! Laisse-moi ! Je suis trop bien là ! je râle en m'enfonçant exagérément dans mes oreillers.

— Kris ! Ramène tes petites fesses maintenant ! s'écrie-t-il tout en essayant d'atténuer un maximum sa grosse voix. La vraie vie mérite parfois bien plus d'attentions que tes fichus bouquins.

Je grogne en me levant. « La grosse Bertha », qui pensait faire une pause, me fusille du regard. Et oui emmerdeuse ! Ça, c'est mon frangin ! Et s'il connaissait ton existence, je t'assure qu'il te flanquerait une bonne raclée.

— Bien sûr, ça ne peut pas attendre demain...

Son regard parle pour lui. Il ne me laissera pas tranquille. Pas la peine de lutter.

— Viens !

Je regarde mon portable. Une heure du matin ? Je jure de l'attacher à un piquet et laisser les vautours le bouffer si ça n'en vaut pas la peine.

J'enfile mes baskets.

— Magne-toi bon sang ! Sinon on va tout louper.

Mais de quoi me parle-t-il ?

Je ne vais sans doute pas assez vite pour lui puisqu'il me prend par la main et me tire dans le couloir, ensuite dans la salle à manger et me porte presque jusqu'à la baie qui accède à la terrasse. Bigre ! Je ne l'ai jamais vu comme ça. Pour le coup, mon excitation monte en flèche et autant que faire soit peu, je cours derrière lui. Soudain, il s'arrête. Je le percute de plein fouet en poussant un petit cri. Je suis prête à parier qu'il ne m'a même pas sentie, bâti comme il est. Je m'apprête à protester quand il plaque, juste à temps, sa main sur ma bouche. Il me demande de m'accroupir. Je m'exécute.

— Tu entends ? me chuchote-t-il.

Dans un premier temps, je ne distingue rien. Il fait un noir d'encre. Nous sommes tout près de la piscine. Il ne me faut que quelques secondes pour percevoir des clapotis, des bruits sourds de succions et des... oh non ! Des gémissements.

— Ne me dis pas que...

— Si microbe ! Il y en a qui s'envoie en l'air dans la piscine. La même piscine dans laquelle nous nous baignons tous les jours.

Je retiens un frisson de dégoût.

— Tu sais qui c'est ? je demande ahurie.

— Il n'y a pas cent mille possibilités. Tony et Mina ou alors Véronique et Charles.

— Et pourquoi pas oncle Éric et Sidonie ? Après tout... c'est un jeune couple, je propose la voix pleine de défi.

— Non mais t'es sérieuse là ?

— Oh ça va ! Ne fais pas l'offusquer !

Nous tendons à nouveau l'oreille. Je commençais à me sentir de trop ce qui n'était, visiblement pas, le cas pour Romain. Je le soupçonnais préparer un coup.

— Moi, je ferais bien une apparition. Tu me suis ?

Eh bien voilà ! Du grand Romain !

Sur le point de m'y opposer, je me rappelle le but de ces vacances. Oser, prendre des risques, dépasser mes limites. Alors, j'acquiesce en dégainant une grimace machiavélique. Il n'a pas eu besoin de plus.

D'un signe, il me fait comprendre de rester à ma place puis me laisse dans l'obscurité, planquée derrière une fougère. Après quelques secondes, qui m'ont semblé une éternité, les lampadaires de la piscine inondent de leur lumière.

Un cri de femme brise le silence. Mon frère me rejoint. Dans un premier temps, nous distinguons  quatre mains qui tâtonnent les margelles de la piscine. Nous nous mettons tous les deux à pouffer comme deux ados pour ensuite exploser sans retenue. L'homme réussit à récupérer son caleçon et nous interpelle.

— Qui est là ?

Cette voix... C'est impossible ! Brusquement, nous devenons muets nous interrogeant du regard. Les mains enfoncées dans nos poches, nous quittons notre cachette.

L'homme enfile son caleçon... aide sa compagne à sortir de l'eau et lui donne son peignoir. Quand ils nous rejoignent, nous n'avons toujours pas bougé d'un millimètre. Ils passent près de nous, sans s'arrêter ni nous regarder. Seul notre père ose rompre le silence.

— À demain les enfants.


Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant