V. Tête à tête

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Quand la porte du bureau se referme derrière les garçons, et que je le retrouve seule avec le chef, un sentiment de peur commence à s’insinuer lentement en moi. Ce n’est que maintenant que ça me percute. Je ne suis plus dans la société. Je ne maîtrise pas mon environnement. Ici, les règles sont différentes, et je dois me plier à elles si je veux survivre. Je ne peux pas faire la maligne et espérer que tout rentre dans l’ordre. Ici, il peut m’arriver n'importe quoi, personne n’en saura jamais rien et ne se souciera de mon avenir. Ici, je ne suis rien, et je sens que le chef va me le rappeler pour montrer sa supériorité.

—Dis-moi Norri, sais-tu ce qui arrive aux Refoulés une fois qu’ils sont accueillis par les clans extérieurs ?

Non, comment pourrais-je le savoir ? Il n’y a strictement aucun moyen de communication entre la Société et les Originaux.

Je hoche la tête négativement, mal à l’aise.

—Dans les meilleurs des cas, ils passent des épreuves physiques souvent mortelles, et dans les autres cas, ils sont condamnés à mort, cela passe par la décapitation et autres morts rapides, jusqu'aux pires tortures qui peuvent amener l'agonie à durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Super, finalement je ne pense pas que ma vie soit mieux ici que là-bas… Car ce ne sera pas une vue ici, si je meurs. Mais après tout, est-ce que ce n'est pas ce qu’il peut m'arriver de mieux ? Toute ma vie dans la société, je l'ai passé en étant au ban de toutes les activités et de tous les groupes de jeunes qui se sont formés durant mon enfance et mon adolescence. Jamais je n'ai vraiment fait partie de la société. Et ici, je ne connais aucune coutume, aucun comportement à adopter. Je ne fais pas non plus partie des clans extérieurs, ma place n’est nulle part, finalement.

Ce n’était qu'un rêve, cette liberté que je m’imaginais découvrir lorsque je franchirais le Mur… Alors qu’au contraire, c’est ce qui m’a condamnée à comprendre que je ne suis pas faite pour cette liberté, qui d'ailleurs n’est pas vraiment une liberté puisque depuis que j’ai rencontré des Originaux, je n’ai plus de choix, je ne suis plus maîtresse de moi-même. J’ai été forcée à venir ici, même si je crois l’avoir fait de mon plein gré.

L'arme qui m’a menacée depuis ma rencontre avec Kay et Dol me fait comprendre que ce n’est pas un jeu dans lequel je suis. Ce n’est pas une de ces simulations que je peux quitter comme dans la Société. Ici c’est la vraie vie, pour laquelle je pensais être prête, et qui finalement va avoir raison de moi en moins de trois jours. Une belle ironie, quand je pense à la petite fille que j'étais, des années en arrière, et qui plaçait tous ses espoirs et rêvait d’un avenir meilleur au-delà du Mur.

Je relève la tête pour croiser le regard du chef.

—Et vous, qu’est-ce que vous leur faîtes aux Refoulés ?

—Le visage de Kay ne te dit rien ?

Hein ? Bah non, je ne l’avais jamais rencontré avant hier…

—Non.

—Pourtant il est un Refoulé.

—Quoi ?!

Mais… je ne le connais pas. En même temps, il n’y a pas tant que ça de contact entre les jeunes tant qu’ils n'ont pas été acceptés définitivement au sein de la Société. Et je sais que lorsqu'une personne est Refoulée, elle est effacée de la mémoire informatique de la ville, et donc par conséquent de la mémoire des citoyens. Le souvenir de moi qu’ont ma mère et les quelques personnes que j'ai fréquenté ces dernières années va s'estomper lentement, et je finirai par disparaître totalement de la Société, comme si je n’en avais jamais fait partie. Alors finalement, ça ne me semble pas si étrange que ça d'apprendre que Kay est un Refoulé. Sa connaissance des commandements aurait dû me mettre la puce à l'oreille…

RefouléeWhere stories live. Discover now