Jo l'increvable

Chapitre 29

- Ace a craché le morceau.

Ces paroles semblaient provenir d'un rêve ou plutôt d'un cauchemar. Elles paraissaient si lointaines et irréelles. Mais le contact dur du sol sous les fesses de Johanne la ramenèrent à la réalité, réveillant la douleur des courbatures. Elle était encore dans sa cellule et elle n'était pas prête d'en sortir, en observant bien le nombre de repas qu'elle avait, trois par jour, elle dirait à vue d'oeil qu'elle était après le déjeuner de son deuxième jour. Son regard terne et vide se tourna vers l'homme qui se tenait devant les barreaux. C'était Thatch.

Son visage était froid et aucune émotion ne semblait transparaître, bonne comme mauvaise. Il n'y avait pas l'ombre d'un sourire. Johanne le regarda perdue, l'esprit encore embrumé.

- Qu-quoi ? questionna-t-elle.

- Tu es chasseuse de primes. C'est ça ton véritable objectif: nos primes, révélât-il, comme une évidence.

La jeune femme resta silencieuse, fixant le cuistot du regard, qui continua sur sa lancée :

- J'ignore quelle est la raison pour laquelle tu as besoin d'argent ou alors de reconnaissance, mais une chose est sûre, tu n'étais pas aussi inoffensive que tu prétendais. Car tu n'es pas seulement une simple chasseuse de primes, mais il me semble que tu es LA chasseuse de primes qui capture de plus en plus fort et qui commence à se faire une renommée dans Grand Line... On a fait quelques recherches et tout semble dire que c'est bien toi, il ne te reste plus qu'à le confirmer, finit Thatch.

Le regard qu'il lui lançait se fit plus insistant en voyant qu'elle ne disait toujours rien. Il fronça les sourcils et soupira, l'air las. Elle n'avait qu'à leur dire la raison pour laquelle elle voulait des primes et peut-être qu'ils la relâcheraient. Thatch soupira à nouveau, et lâcha d'une voix presque déçue :

- Si tu veux sortir d'ici un jour, il ne tient qu'à toi de parler. Pour le moment tu es considérée comme une menace pour l'équipage.

Et il partit. Laissant derrière lui une jeune femme, la tête brumeuse, et ses pensées s'entrechoquant entre elles, tant elles ne tenaient pas en place. Elle ne savait plus quoi penser, son frère l'aurait trahie ? A cette pensée son cœur se serra et les larmes menacèrent de couler, sa respiration s'accéléra et les battements de son cœur en firent de même. Cette idée la mettait dans tous ses états. Son frère était la personne à qui elle tenait le plus au monde, il ne pouvait pas lui faire ça, la laisser tomber.

Soudain, elle pensa que Ace ne tenait plus à elle, qu'il voulait s'en débarrasser, et quoi de mieux rester enfermée entre ces quatre murs toute sa vie, pendant que lui s'amusait avec ses camarades, buvait de bon train et profitait d'une bonne petite bagarre quand l'occasion se profilait.

De plus, pour couronner le tout, Jo était totalement perdue face à cet équipage, aux premiers abords ils avaient l'air sympathiques, mais ils l'avaient tout de même enfermée et ne semblaient pas prêts à la libérer, et puis il y avait Thatch, ce cuistot un peu dragueur sur les bords mais au grand coeur tout de même puisqu'il semblait s'inquiéter pour elle. Sans oublier Curamano ou Uramono, ce jeune homme qui lui avait rendu visite et voulait s'approcher d'elle, il lui paraissait étrange, son attitude n'était pas la même que les autres pirates.

En parlant du loup...

- Tu comptes venir me voir tous les jours... Curamano ? lui demanda Johanne d'une voix sans émotion. Je te manque déjà ?

- Peut-être, qui sait ? Uramano semblait plus sûr de lui que la veille et Jo haussa un sourcil de surprise. Je viendrai jusqu'à ce que tu sortes d'ici, et pour cela je compte bien venir t'aider.

Le regard de Johanne se teint d'étonnement, ne s'attendant absolument pas à ces mots de la part de ce pauvre pirate qui ne faisait que bégayer hier et qui maintenant semblait contenir un surplus de confiance en soi. Elle avait devant elle un personnage totalement différent de d'habitude, qu'elle ne parvenait pas à cerner et cela ne lui plaisait pas. Néanmoins, elle devait avouer que cette nouvelle facette de lui-même lui retourna l'estomac, mais pas de manière désagréable, non, elle sentit plutôt comme une chaleur dans son bas ventre, et son regard sur lui changea. Elle se sentait enfin soutenue sur ce navire. Même son frère l'avait abandonnée. Et il lui promettait de la sauver.

Elle le détailla plus en détail: les cheveux blonds cendrés en bataille, plutôt courts, des yeux d'un bleu océan si profonds qu'ils étaient prêts à t'engloutir, sans parler de ses lèvres, charnues et rosées, quiconque se serait jeté dessus, et son nez, droit, sculpté dans son visage à la perfection tout comme sa mâchoire symétrique. Il était indéniablement beau. Et pour Johanne, ça lui coûtait de l'admettre. Peut-être, malgré tout, deviendra-t-il quelqu'un d'important pour elle.

※⁂※

Ace n'osait pas rendre visite à sa sœur. Premièrement car la voir enfermée et dans l'état dans lequel elle devait se trouver, le mettrait hors de lui, et il n'était pas sûr de pouvoir maîtriser sa colère. Et deuxièmement car il se sentait coupable d'avoir révélé le secret de sa sœur et il savait qu'elle lui en voulait. Il ne voulait pas voir dans ses yeux sa haine dirigée sur personne d'autre que lui, ça lui ferait trop mal, et il était bien incapable de lui faire face en ce moment même.

Il entendit quelqu'un toquer à sa porte qui s'ouvrit sans même attendre sa réponse. La tête de Thatch apparut alors dans l'ouverture de la porte et il vint directement s'asseoir à côté de Ace sur son lit.

- Elle n'a rien dit.

Ace posa son regard sur Thatch à ces mots et ne put retenir un soupir de déception. Thatch continua sur sa lancée :

- Je pense qu'il lui faut du temps, pour digérer le fait que tu nous aies dit son secret, mais aussi pour prendre du recul sur ses actes et sur ce qu'elle compte faire plus tard. Tu vas me prendre pour un psy, mais je pense qu'elle est perdue et qu'elle a besoin de soutien.

Ace réfléchit quelques instants à ce que son frère de cœur venait de lui dire, puis acquiesça silencieusement et remercia le cuistot pour ses bons conseils. Il était désormais conscient qu'il devait être là pour sa sœur et la soutenir, et pour ce faire, il allait commencer par lui rendre une petite visite.