Chapitre 1 : Contre sa volonté

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Comme toute adolescente ayant la tête sur les épaules, Rozenn Morvan ne pensait pas être différente des autres. Seulement, ce n'était pas l'impression que lui donnaient les enfants au village. Toujours à l'éviter ou à faire comme si elle n'existait pas, la jeune fille se sentait profondément seule.

Bien sûr, elle avait sa famille qui lui offrait tout l'amour qu'elle pouvait espérer, mais ce n'était pas la même chose. Elle avait besoin de faire partie d'un groupe, de se faire apprécier pour ce qu'elle était. Et non pas parce qu'elle était la fille de ses parents ou encore la sœur de quelqu'un. Évidemment dans les faits, c'était toujours plus compliqué...

Adossée à un arbre, Rozenn releva la tête du manuscrit. Quand elle s'ennuyait, elle prenait un des livres que sa mère avait ramené du couvent et se rendait à l'étang. Après tout, c'était toujours mieux que de rester enfermée toute la journée...

Elle plongea son regard dans l'horizon, mélancolique. Les nuages encombraient le ciel et cachaient en grande partie le soleil, ce qui diminuait fortement l'éclairage de ses reflets à venir s'échouer sur la surface de l'eau. De légers courants d'air venaient lui caresser la joue et lui transmettaient des odeurs de vase dans les narines. Et lorsque, par mégarde, elle ouvrait la bouche, un goût salé s'immisçait sur sa langue, lui donnant l'impression de manger directement du sel.

Soudain, une voix s'éleva dans la forêt. Rozenn n'eut aucun mal à la reconnaître : Corentin Vance. Le garçon qui était à l'origine de son isolement...

Comme piquée au vif, la jeune fille se releva d'un seul mouvement et emporta son livre dans les bois.

- Hâtez-vous ! l'entendit-elle une nouvelle fois crier sur ceux qui l'accompagnaient. Nous n'avons pas que ça à faire.

Rozenn fronça les sourcils. Comment pouvait-il se montrer aussi infecte avec ses amis ? Enfin, si on pouvait appeler ça de l'amitié...

Elle ne voulait pas se faire repérer. Cependant, sa discrétion était mise à rude épreuve : personne n'esquissait un seul mot, seul le bruit de leurs pas brisait le silence qu'avait instauré leur chef. Même les oiseaux s'étaient arrêtés de chanter, c'était dire !

Au bout de quelques minutes enfin, Corentin s'arrêta dans une clairière et s'assit nonchalamment sur un rocher. Les autres enfants ne tardèrent pas à l'entourer, tel des disciples autour de leur maître. Quant à Rozenn, elle se positionna derrière un arbre et s'agenouilla afin que personne ne puisse la voir. De toute manière, elle doutait qu'ils la remarquent, ils étaient tellement obnubilés par lui...

Corentin passa une main dans sa chevelure brune, désinvolte. Son visage affichait un sourire moqueur. Il se délectait à l'avance de ce qui allait se produire. Elle en frissonna. Ce garçon était si... étrange. Et encore, le mot était faible.

- Dansez pour moi, exigea-t-il.

Sans attendre, les enfants du village se mirent à exécution : ils bondissaient dans les airs, secouaient exagérément leurs bras au-dessus de leur tête et certains se mirent même à faire des rondes.

Horrifiée, Rozenn plaça une main devant sa bouche. Ce n'était même pas la première fois que Corentin faisait ça. À vrai dire, c'était parce qu'elle n'avait pas obéit à l'un de ses ordres qu'elle se retrouvait isolée.

Quelques années auparavant, alors qu'elle était âgée de huit ans et qu'elle avait encore des amis, un seigneur s'était installé avec sa famille dans un manoir non loin de là.

Peu de temps après, Corentin s'était présenté à eux, et les enfants n'avaient pas hésité longtemps avant d'en faire l'un des leurs. Il leur avait d'ailleurs fait tellement bonne impression que ceux-ci s'étaient mis à le suivre partout, comme des moutons. Alors, naturellement, il s'était mit à leur donner des ordres et chacun des enfants devaient s'y soumettre sous peine de se voir retirer son affection.

[T.1] Les Sentinelles de l'Ombre : L'Ascension De La Sorcière Où les histoires vivent. Découvrez maintenant