[T.1] Les Sentinelles de l'Ombre : L'Ascension De La Sorcière

Chapitre 3 : Les Démarqueurs (1/2)

Rozenn inspira une grande bouffée d’air avant de pousser la brouette. Les habitations étaient rares près de chez elle, faites de grosses pierres et recouvertes de chaume, elles ne différaient pas tellement de la sienne. 

Le seul point qui la rendait unique était l’étage qu’ils avaient. Les précédents propriétaires avaient voulu en faire une auberge. Mais Guergan n'attirait pas beaucoup les étrangers alors leur affaire avait coulé, et son grand-père en avait profité pour reprendre la maison à un prix plus que raisonnable pour en faire une ferme.

La jeune fille s’arrêta un moment afin de s'essuyer le front de la manche de son manteau. Elle essayait tant bien que mal de maintenir le rythme pour transporter tout ce lait et ces œufs à temps, mais la tâche n'était pas aisée... Faire les livraisons était loin d'être son activité favorite. Seulement, depuis que Justine avait délaissé cette tâche pour sortir de plus en plus au village, c'était elle qui avait été désignée pour accomplir cette tâche. De toute manière, elle n'avait pas vraiment le choix : ses parents avaient besoin de tous les bras disponibles.

Arrivée au village, les nuages s'étaient assombris comme s'il allait pleuvoir. Mais en dépit du mauvais temps, les villageois ne se décourageaient pas : les femmes emmenaient leur linge au lavoir, les hommes revenaient de la forêt avec sur leurs épaules des bûches fraîchement coupées et sur la grande place, les marchands exposaient leurs produits avec entrain et dynamisme.

Rozenn zigzaguait entre les différents emplacements quand elle fronça les sourcils. Le comportement des villageois clochait : le sourire des commerçants paraissait faux, sans chaleur, comme si un quelconque malaise flottait dans l’air. Et les clients, ne lui jetaient-ils pas des regards plus appuyés qu’à l’ordinaire ? Elle secoua la tête de droite à gauche. Qu’était-elle en train d’inventer encore ?

Afin de gagner du temps, la jeune fille décida de passer par un raccourci. Exigue, la ruelle n'était pas dénuée d'embûches. Mais elle avait l'habitude, elle savait donc parfaitement à quel endroit il manquait un pavé ou encore quel mur avait des fissures et risquait de s'écrouler d'une minute à l'autre. 

Ainsi, après quelques minutes à pousser la brouette, elle pénétra dans la boulangerie accompagnée de sa cargaison : à peine fut-elle entrée que les bonnes odeurs de pâtisseries et de pains chauds lui mirent l'eau à la bouche. Le feu de la cheminée devait être allumé depuis l'aurore et il diffusait une onde de chaleur dans la pièce qui la réchauffa aussitôt, elle et son nez rouge.

Le boulanger, à la vue de Rozenn, lui fit un petit signe de la main. Elle se rapprocha de lui, délaissant la brouette près de l'entrée.

— J'ai laissé du pain de côté pour toi, déclara-t-il. Je m'occupe juste de la commande de mes clients et puis je reviens, d'accord ?

Rozenn hocha la tête avec un sourire. 

Les petits pains que lui donnait Auguste étaient souvent les invendus : des pains soit un peu plus durs, soit un peu trop mous pour valoir quoique ce soit dans le commerce. Alors, au lieu de les jeter tout bêtement, Auguste préférait les lui donner. Il connaissait la situation de sa famille et se doutait qu’en tant que paysans, les parents de la jeune fille devaient avoir des difficultés pour subvenir à leurs besoins, surtout avec trois enfants à habiller, à nourrir et à loger…

Afin de ne gêner personne, elle se mit donc dans un coin de la pièce et attendit en silence son retour. Mais son attention fut attirée par les deux clients d'Auguste qui discutaient pendant que le boulanger s’occupait du four. L'un avait les cheveux gris coupés jusqu'aux épaules et l'autre avait un gros ventre et un visage rouge tomate. Encore un habitué de la taverne…

— Mais si ! beugla-t-il comme s'il ne s'entendait pas parler. Ils vont venir, puisque jte l'dis. Et mon cousin m'a aussi dit qu'ils comptaient vérifier chaque jeune fille pour savoir si ce sont des sorcières.