Chapitre 2 : Cachotteries

29 8 0
                                    

Lorsque Rozenn arriva chez elle, l'air s'était rafraîchi et le soleil commençait à disparaître, permettant à la lune de le remplacer. Plus une seule vache n'était dans le champ, et les poules venaient d'être nourries avec des épluchures de légumes comme elle put le constater en les trouvant à picorer devant la maison. 

La porte d'entrée était légèrement entrouverte, mais ça n'avait rien d'étonnant : celle-ci avait tendance à se bloquer alors il fallait continuellement la laisser ouverte afin d'éviter de rester enfermé à l'intérieur ou coincé dehors. 

Même en hiver, alors que le froid pénétrait la maison comme ces temps-ci, les parents de Rozenn s'y refusaient. Ils se contentaient de brûler du bois dans la cheminée, de se couvrir eux et leurs enfants de couvertures en laine ou encore de faire rentrer quelques vaches pour leur tenir chaud, mais jamais ils ne la fermaient.

Elle franchit le seuil et posa le livre sur la petite table de la pièce principale. Le feu crépitait doucement dans l’âtre, mais il était couvert par les voix de son père et de sa mère qui s'élevaient dans la cuisine : 

— Je sais ce que j'ai entendu et ils arrivent, jte dis.

La jeune fille se figea.

— Je ne peux pas y croire, déclara Mme Morvan, d'une voix flageolante.

— Il va pourtant falloir que t’en prennes conscience car il faut qu'on agisse, et vite !

Des coups de couteau retentissaient avec de plus en plus d’intensité sur la planche en bois. À n'en pas douter, les victimes de ces assauts devaient être les pauvres légumes qu'ils mangeraient pour le dîner…

— Et qu'est-ce que tu comptes faire ? On ne peut pas le faire disparaître comme ça !

— Je vais en parler aux enfants, déclara le père de famille.

— Et pour Rozenn ? Tu sais que demain…

— Oui, je sais. Et elle saura tout à ce moment-là, pas avant.

— Mais…

— Il n'y pas de mais qui tienne, Hélène. Vu la menace qui se rapproche, il n'y a pas d'autres alternatives. S'ils n'arrivaient pas, j'aurais été d'accord avec toi mais là... Il y a trop de risques. Autant pour elle que pour nous.

Rozenn fronça les sourcils. Mais de quoi parlaient-ils ? Et quels risques ? Et puis surtout, pourquoi devait-elle attendre demain pour le savoir ?

Certes c'était son anniversaire, mais tout de même ! Ils ne croyaient quand même pas qu'elle serait plus apte à comprendre le jour de ses treize ans et pas la veille ? Un jour de plus ou de moins, quelle différence ?

Soudain, en sortant brusquement de la cuisine, sa mère laissa tomber le bol d'eau qu'elle avait l'habitude de laisser dehors pour le chien errant.

— Rozenn ! Tu m'as fait peur !

— Désolée, maman…

— Tu... Tu es là depuis longtemps ?

Ses doigts tremblaient d'un geste convulsif et elle semblait vouloir à tout prix éviter le regard de sa fille.

— Non, je viens juste d'arriver, répondit-elle en ramassant le bol afin de le lui tendre.

— Eh bien, la prochaine fois, dis-nous que tu es rentrée. Ça évitera de faire peur à ta mère..., ronchonna son père.

Avec sa barbe pas toujours bien rasée, ses vêtements déchirés remplis de terre ou de crottin et sa démarche chaloupée, il pouvait passer pour un grossier personnage. Et son comportement plutôt rude ne plaidait pas en sa faveur… Mais s'il y avait bien une chose à retenir, c'était qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. 

[T.1] Les Sentinelles de l'Ombre : L'Ascension De La Sorcière Où les histoires vivent. Découvrez maintenant