Pour ce qui est de mon orientation, la filière professionnelle n'a pas été reniée mais j'ai préféré suivre un cursus plus classique afin d'obtenir un bac général car j'en ai toujours eu les capacités et secrètement rêvé. J'ai été acceptée dans une classe de seconde générale à enseignement d'exploration EPS et option sport. J'ai rapidement décroché. J'ai les capacités mais je me rends compte que je ne veux pas en faire mon métier, je ne veux pas cultiver cet état d'esprit qui écrase les autres pour devenir meilleure. Je décide de me réorienter en esthétique pour devenir prothésiste ongulaire. Je me suis donc inscrite en bac professionnel dans une petite école privée qui a de très bons résultats et je passe mon CAP pendant ma deuxième année de BAC PRO. Mes parents me projettent en BTS dans la même école puis dans un diplôme international qui me donnerait l'opportunité de travailler sur les bateaux de croisière. Uniquement des filles suivent cette formation. Je me rends compte que je veux devenir comme certaines d'entre elles, belle, joyeuse, charismatique.
Cela m'est déjà arrivée de me projeter à travers des figures féminines comme une maîtresse d'école, une coach, une athlète de mon club, une camarade de classe et bien d'autres. J'ai cru au début que si je me projetais de la sorte c'est que je voulais être comme ces dernières, mais j'ai réalisé par la suite que je suis attirée par des êtres qui dégagent cette énergie, ce style, ces convictions.
Je me surprends d'affection pour une camarade de classe, mais je suis encore trop timide, trop chétive face à ce que je suis amenée à devenir. Trop puérile de pensée. Sans surprise, cela n'aboutira qu'a une petite peine de cœur et une diminution de ma confiance en moi. Puis je me renferme dans le déni, je suis en colère contre moi et je me dis que ce n'est pas possible, que je ne peux pas être attirée par la gente féminine.
C'est trop compliqué d'aimer quelqu'un du même sexe que nous, même de nos jours. Alors je veux faire comme toutes les filles de mon âge et je veux m'intéresser aux garçons. Quelle belle illusion de croire qu'en voulant s'intéresser aux hommes je pourrais oublier mon attirance envers les femmes. J'essaye de me rassurer : « J'ai ressenti quelque chose de fort pour Automne, je suis sûre que je pourrais ressentir quelque chose de semblable envers un autre ».
« Nous sommes en guerre sanitaire » dit le président sur des milliers d'écrans de télévision en 2020.
Automne - Mathias à l'époque - et moi passons nos soirées à faire des Netflix party, à regarder tous les studios Ghibli et à jouer à Animal crossing. Puis vient le premier job étudiant et le plus dur que j'ai eu à effectuer : la castration de maïs. Je me suis faite plaquée au moment de la signature de mon contrat, sans vraiment savoir pourquoi. Je le comprendrai deux ans plus tard lorsqu'elle m'avoua être née dans le mauvais corps.
Au fond de moi je savais que j'avais envie d'autre chose. L'esthétique ne me plaisait plus.
Alors, Baccalauréat en poche mention très bien, est venu le temps de Parcoursup. J'ai eu peur de la réaction de mes parents si je leur disais que je voulais me réorienter. J'ai donc demandé le BTS de mon école. Malgré tout, j'ai également demandé médecine, juste pour savoir si mon dossier était assez bon pour être accepté.
Sans surprise, je suis acceptée dans la classe de BTS de mon école et en liste d'attente pour médecine - et pour une élève de Bac Pro, je suis tout de même bien classée - mais je finis par prendre mon choix de raison.
Lolita me présente à un ami de son copain et nous profitons de notre été pour bivouaquer. Les choses vont très vite. Je veux me convaincre que je peux être comme les autres filles de ma promotion. Je sors donc avec Oscar, un jeune homme grand et blond, charismatique et je dois le dire, plutôt drôle.
Cette année, pas question de ratrapper des brûlures dues aux coups de soleil, je veux un planning précis et je décide de postuler à la plateforme de tri du courrier de La Poste, là où ma mère travaille. Pistonnée ? Oui. Ils ont pour habitude d'engager les enfants des postiers pour les vacances scolaires.
Le jour de mon entrée, une autre étudiante commence le même jour que moi. Nous faisons connaissance et je ne m'attendais pas à rencontrer une personne si chère à mes yeux aujourd'hui. Elle m'a tellement appris. Grâce à elle, je comprends que c'est une chose normale d'aller au cinéma toute seule, d'aller voir une psy, d'aimer les filles, de se réorienter ; elle me donne plus confiance en moi.
Cet été là, j'ai vraiment pris conscience que je ne pouvais pas fuir ce que je ressentais. Mais je me déteste pour mes sentiments, je pense que j'ai un problème, que je peux encore être une femme normale. Je prends l'initiative de rompre avec mon petit ami car je sais que ce n'est qu'illusoire.
Je prends rendez-vous avec une psychologue à la rentrée. Mes parents ne sont pas au courant, eux et moi on ne parle pas. Malheureusement, j'ai encore décroché au lycée et la thérapie ne fonctionne pas, je n'arrive pas à créer un climat de confiance avec la psychologue et je n'arrive pas à me livrer complètement. La première question qu'elle m'a posée est « Qu'est ce qui t'amène ici ? » Et moi j'ai reconnu « Je crois que j'aime les femmes ». Je n'ai jamais réussi à lui dire que je n'arrive pas à extérioriser ma colère et que la seule façon que j'ai trouvé est la mutilation. Je parviens tout de même à lui expliquer que je n'arrive pas à comprendre ce que je ressentais, que je pense trop vite. Elle me conseille un livre : Trop intelligent pour être heureux, elle me dit que si j'arrive à m'y reconnaître c'est qu'il y a des chances que je sois HPI, elle ne me fera jamais faire ce test, je ne sais toujours pas si je le suis.
J'ai réussi à lui expliquer que pour éviter de me scarifier, je me vengeais sur la nourriture. Ce à quoi elle m'a répondu qu'il fallait que je consulte une autre psychologue qui serait plus qualifiée pour traiter ce genre de comportements. Je n'ai pas eu le courage de retrouver quelqu'un d'autre. Je suis donc restée avec mon mal être incompris et difficilement extériorisé.
Un jour parmi tant d'autres, je me sens encore plus seule, Elodie m'explique qu'elle a été retenue pour un Erasmus en Lituanie. Je suis incroyablement contente pour elle mais je n'arrive pas à me dire que je vais passer six mois sans la voir, moi qui n'arrive pas à entretenir des relations à distance. Je regarde déjà les vols pour Vilnius à trois mois de son séjour. C'est là, mon premier grand pas seule. Mon premier vrai voyage. Je suis terrorisée mais tellement fière. Je suis la seule qui est allée la voir. De l'amour ? Oui. Qui irait à l'autre bout de l'Europe à neuf mois de la rencontre ? À part quelqu'un d'amoureux je veux dire ? Personne à part moi. Même si je ne veux pas me l'avouer.
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Et pourtant
RomanceEloïse n'a que vingt ans lorsqu'elle s'enferme sans s'en rendre compte dans une relation toxique avec une perverse narcissique. Progressivement elle dépersonnalise et se laisse mourir car elle ne supporte plus les violences. Cette relation fini par...