Partie 3, chapitre 10

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Mai

Aujourd'hui est un jour très important, il s'agit du jour où je rencontre enfin ta meilleure amie. Tu m'as proposé de venir manger avec vous au restaurant. Un Italien dans un centre commercial près de chez moi. Cette dernière fait le déplacement de Châteauroux avec son copain. Nous nous rejoignons directement là-bas.

Il fait jour, il fait beau, il fait bon. Je suis habillée d'une jupe rouge fleurie, d'un top noir et d'une veste noire. Tu es vêtue d'un pantalon droit en simili cuir, d'un haut orange et tu as les cheveux détachés. Je te trouve magnifique.

Nous nous embrassons et nous passons aux présentations. Ton amie est une petite brune et elle porte une robe blanche tandis que son copain est une grand roux vêtu d'un jean et d'un polo. Ils ont l'air joviaux et sympathiques. Ils nous sourient en nous voyant nous embrasser. Ils sont bienveillants.

Nous nous dirigeons vers la table de quatre avec les mains liées et nous nous plaçons en face l'une de l'autre. Tout comme Arthur et Léa. Au menu : pizzas, salades ou pâtes. L'une de nous opte pour des pennes à la sauce tomate tandis que l'autre prend une pizza margarita. Nous piochons toutes les deux dans l'assiette de l'autre. Ce moment est convivial, je m'entends bien avec eux et je ne me sens en aucun cas gênée d'être moi.

Je suis heureuse et déterminée à l'être pour toujours.

À table, nous parlons de tout et de rien, on dirait des adultes qui n'ont d'amis que d'autres couples et qui sortent le soir lorsque les enfants se font garder par une babysitter bon marché. Ton ex petit-copain, peu apprécié de ton amie, a fait l'objet d'une discussion, une comparaison avec moi également. C'était un motard ennuyeux. Tout l'inverse de moi, d'après ce qu'ils disent. L'appréciation a l'air réciproque. La soirée passe très vite. Nous nous disons à bientôt car ils veulent me revoir, et moi aussi.

Ce soir-là, nous rentrons ensemble à l'appartement et je t'ai dit d'apporter avec toi quelques affaires de toilettes et vêtements. Je veux que tu te sentes bien, comme si tu étais chez toi. Je veux voir des petits bouts de toi chez moi, même quand tu n'es pas là.

Je déplie le canapé pendant que tu ranges tes affaires là où tu trouves de la place. J'allume la télévision. Nous chantons, nous dansons, nous nous embrassons. Un peu, beaucoup, passionnément.

Nous nous déshabillons du regard puis réellement. Nous accélérons puis nous jouissons. Je t'aime, tu m'aime, nous nous aimons. Nous recommençons. Plus rapidement, plus intensément. Tu mets un doigt, puis deux, puis trois, du reste je ne m'en souviens pas. Je suis prise d'une fièvre de plaisir, une de ses fièvres qui ne fait aucun mal, que du bien. Je tremble de tout mon être, je transpire de passion, je rougis d'émotion. Puis quatre puis cinq. Puis plus rien. Je suis vidée de toute énergie. Mon souffle se fait entendre. Ta respiration est calée au rythme de la mienne. Je sens ton cœur battre au contact de nos poitrines nues sous la couette qui ne sert qu'à nous envelopper, nous cacher. Ma respiration s'est calmée.

Le lendemain matin, nous nous réveillons relativement tard. Nous décidons de faire un espèce de brunch. Je vais donc chercher de quoi manger à la boulangerie au coin de la rue et ensuite je vais au Carrefour Market en bas de l'appartement pour acheter de quoi faire un apéritif pour ce soir.

Nous avons invité notre coach et ses filles pour passer un moment en dehors des entraînements. Je passe près de la caisse et je vois des tulipes roses, je décide de les acheter pour te faire une surprise. Je sais que c'est ta couleur préférée. Je reviens à l'appartement les mains pleines et j'ai un sourir béant en te voyant. Je te tends le petit bouquet et j'aperçois les larmes prêtes à déborder de tes yeux. Tu sautes dans mes bras et me dis tout bas :

« C'est la première fois que l'on m'offre des fleurs ». Je frémis d'émotion.

La soirée qui a suivi s'est très bien passée et la suite s'est répétée. Tu as accéléré, mon souffle est devenu saccadé, j'ai joui et toi aussi. Mais cette fois-ci j'ai eu mal. Je ne te l'ai pas montré, mais j'ai eu mal. Lorsque tu es allée dans la salle de bain, tu as crié mon nom. J'ai cru avoir fait quelque chose de mal, mais c'est que tu as eu peur, peur de m'avoir blessé. Tu as répété mon prénom une fois, deux puis trois. Je viens alors à toi et je te vois te tenir là, près du lavabo, les mains en sang. Toi les fixant. Et puis je vois tes bras tremblants. Je suis restée là un moment, ne sachant que faire, les bras ballants. J'ai alors pris tes mains et fait couler de l'eau. Je les ai lavées. La lumière chaude de la salle de bain éclaire nos corps nus encore luisants et transpirants faisant apparaître quelques traces de sang. Je prends alors un gant de toilette et je te lave de la perte de ma virginité. Aucune d'entre nous n'avait évoqué ce sujet, c'est comme si nous n'y avions pas pensé.

Un jour, tu me demandes la signification du code de déverrouillage de mon téléphone. Il s'agit d'une date : 07/05/18. Je te réponds que c'est la date de la soirée d'au revoir que nous avons faite avec Lolita et une autre amie à mon ancienne coach lors de son départ. Tu as d'un coup un air dubitatif, une moue triste. Je comprends alors que quelque chose ne va pas. Tu me fais part de tes inquiétudes par rapport à nos vies passées et à la place que celles-ci prennent dans notre présent. Ce passé où tu n'es pas, tu aimerais qu'il n'existe pas.

Je repense alors à toute ma vie passée comme tu l'appelles, tous ces gens que j'ai profondément aimés et qui m'ont fait avancer. Je repense à toutes ces années, tous ces souvenirs, ces photos, ces aimants sur le frigo, ces posts instagram, ces SMS.

Bientôt tu me poses beaucoup de questions afin de tout savoir sur ce passé. Pour mieux l'apprivoiser, le contrôler. Puis tu me dis que tu aimerais tout effacer, tout recommencer. Tu dis que c'est mieux pour aller de l'avant, penser différemment, voir les choses en grand.

J'ai donc changé mon code de téléphone pour notre date, supprimer mes posts Instagram. J'ai cependant gardé quelques magnets et quelques photos.

Un matin, nous avons échangé nos téléphones pour que chacune puisse naviguer sur les réseaux sociaux de l'autre, pour voir autre chose que nos feeds habituels. Et puis Elodie m'appelle. Tu n'aimes pas. Tu entres dans une colère folle en me criant que tu croyais que je l'avais bloquée. Seulement je n'ai pas pu m'y résoudre. Je l'apprécie tant. Je ne veux pas rompre le lien si fort qui nous unit. Alors, je te calme en te disant que je le ferai. Et puis les jours ont passé et elle a rappelé à plusieurs reprises lorsque j'étais seule.

Une des ces fois, alors que je sortais du travail, j'étais sur la route, j'ai décroché. Ce jour-là, nous sommes le 16 mai, lendemain de son anniversaire que j'ai oublié de fêter. Nous prenons des nouvelles l'une de l'autre. Je lui dis à quel point je suis heureuse d'être avec toi, de connaître l'amour sain.

Si seulement. Si seulement je savais ce qui allait se passer. C'est la dernière fois que je lui ai parlé.

Le lendemain j'ai fait le tri dans mes appels et SMS pour éviter un autre accès de colère de ta part. Je me suis mise à culpabiliser de tout ce que j'ai fait dans le passé. Des parcs dans lesquels je suis allée, des activités que j'ai faites, des personnes qu'avant toi j'ai embrassées.

Tout. Tout est devenu ambigu. Je me suis mise à avoir peur de chaque notification de mon téléphone, peur d'avoir oublié d'effacer, peur que tu ne puisses plus te contrôler. Alors j'éteins mon téléphone. Je ghost ma famille et mes amies par message. Je fais la morte.

Ce que je ne sais pas c'est qu'en faisant semblant on finit par le devenir. 

Et pourtantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant