Partie 5, chapitre 30

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Aujourd'hui ils servent de la pizza. Est-ce qu'elle aura le goût de celle que tu faisais ? Est-ce qu'elle aura la forme de cœur que tu lui donnais ? J'en doute fort. Je ne peux m'empêcher de la fixer la trouvant fade d'extérieur et encore plus fade de goût lorsque je la mange. Tu avais pour habitude de mettre plus de mozarella que de légumes, ce qui lui donnait un côté plus élastique que jamais. Nous la mangions devant notre série du moment, assises sur des coussins de sol. Nous vivions pauvrement mais nous étions heureuses par moments.

Après le repas, je m'attelle au rangement du puzzle qu'Emilie et moi avions commencé. Il s'agit d'un puzzle que ma famille m'a acheté, une toile de Van Gogh, La nuit étoilée. Ce n'est pas La nuit étoilée que tout le monde connaît. Elle se nomme en réalité La nuit étoilée sur le Rhône. Au premier plan est peint un couple qui marche main dans la main dans la nuit éclairant le fleuve.

Bientôt je vais devoir retourner à la réalité d'une vie active. Une vie pleine d'obligations.

En effet, ma psychiatre a prévu ma sortie pour aujourd'hui. J'angoisse à l'idée de devoir me sociabiliser, retrouver un rythme équilibré.

Heureusement, mes amies sont là pour me soutenir dans ce parcours du combattant. Andreina m'aide à retourner petit à petit à l'université et Lolita m'a trouvé une nouvelle activité sportive. Ce soir, je commence le cheerleading. J'ai terriblement peur du regard des gens. Mais ce qui me fait le plus peur c'est mon propre regard sur les autres et sur moi. J'ai peur de me comparer sans cesse et de ne me trouver jamais assez ou toujours trop.

J'ai peur de manger. Avec le stress de ces derniers mois, j'ai perdu beaucoup de poids et je ne compte pas le reprendre. J'ai peur de la régularité des repas et des portions que l'on sert à la maison.

Bientôt commenceront les fêtes de fin d'année et j'ai toujours envie de kanner. J'ai repris la mutilation depuis peu. La vue du sang est comme un soulagement, une exorcisation du mal que je ressens. J'aime me détruire. Est-ce pour autant que je suis une psychopathe ? Non je ne pense pas. En tout cas ce n'est pas ce que dit ma psychiatre.

En sortant je vais devoir trouver une psychologue pour continuer un suivi régulier et le travail que j'ai commencé.

Je dois trouver quelque chose qui me sert à me canaliser, à me concentrer.

Lorsque je rentre chez mes parents, je suis confrontée à tous mes cartons, toutes nos affaires, tous nos souvenirs. Parmi eux, les tournesols en papier que tu m'avais offerts et six roses rouges, une de chaque mois, que l'on faisait sécher pour les garder. J'ouvre un carton et je tombe nez à nez avec notre aquarium. Nous l'avions acheté dans le courant du mois de mai. Il faisait beau ce jour-là. Nous étions en quête de compagnons. N'ayant pas beaucoup d'espace ni de moyens, nous avons opté pour des poissons. Nous sommes allées à l'animalerie la plus proche et nous avons pris de quoi leur créer un bel environnement. Leurs prénoms nous sont venus comme une évidence : Justine et Katia. Les héroïnes de notre film préféré. Un des poissons étant noir, nous lui avons attribué le prénom de la brune tandis que le plus clair s'est vu attribué celui de l'autre. Ils ont malheureusement succombé à une bactérie.

C'est étrange comme j'ai tout de suite eu envie d'en racheter. J'ai eu envie de me le réapproprier. Seulement, il est trop petit pour les poissons que je veux mettre dedans. Alors j'appelle Lolita et je lui demande si elle veut bien m'accompagner pour en acheter un nouveau. Nous sommes allées dans une animalerie différente de la première et j'ai acheté tout le nécessaire. Une petite partie de nous, heureuses, sera à jamais dans ce petit coin vivant. Un jour j'oublierai que si la bactérie les a emportés c'est que tu ne me laissais pas le temps nécessaire pour m'en occuper. Un jour je n'aurais plus cette culpabilité.

En attendant, je me livre corps et âme dans cette nouvelle activité. Cette activité qui est pour moi un moyen de recréer du lien avec ma maman qui en avant un quand je n'étais encore qu'une enfant. Elle y ajoutera ses poissons et s'en occupera quand je ne serais pas là. Elle s'assiera sur mon fauteuil et les regardera pendant des heures durant. Moi je me pose devant et je lis pendant toute la nuit, j'écris parfois aussi.

Hier j'ai écrit une lettre à Elodie pour renouer le contact entre nous. Je ne me voyais pas l'appeler et lui dire « Salut, ça va ? ». J'ai donc couché mes maux sur le papier avant de lui envoyer tout ce à quoi je pensais.

J'ai aussi trouvé une psychologue. C'était important pour moi de trouver quelqu'un d'LGBT friendly. Mon premier rendez-vous est demain.

Pour la première fois depuis que je suis rentrée, je m'endors sereine. J'ai presque hâte. 

Et pourtantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant