Partie 5, chapitre 27

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Le temps est mitigé, de petites éclaircies ponctuent les averses de pluie. Un arc en ciel transperce les nuages et contraste avec les vêtements des personnes présentes. Tout le monde est habillé en noir, pas de jean ni de jupes, tous en pantalons droits. Dieu que je déteste ça. Moi la fille qui faisait le clown pour amuser mes amies et ma famille, moi qui était pleine de vie, d'amour à revendre aussi. Qui aurait cru que je mourrais jeune. Alors que j'aurais pu faire médecine, avoir une belle carrière et la vie de famille rêvée. Aujourd'hui les enfants que l'on aurait pu avoir sont loin. Nous n'en avons pas eu l'occasion, ou plutôt, je ne nous en ai pas donné l'occasion.

Le premier novembre dans la nuit, j'ai succombé au mélange toxique que je me suis infligé.

« Est-ce qu'elle a souffert ? ont demandé mes parents.

— Non » ont dit les médecins.

Je me suis endormie paisiblement. Comment m'ont-ils découvert? C'est ma sœur qui est venue me chercher car j'étais en retard et ma mère venait juste de se lever. Ma soeur est entrée dans ma chambre et a voulu me réveiller mais ce fût impossible. Mon corps était encore chaud alors elle n'a pas compris tout de suite mais j'étais déjà impossible à réanimer. Mon pou s'est envolé dans la nuit, mon âme a rejoint les étoiles. Personne ne comprendra mon acte. Je suis morte en étant ta petite amie et tu assisteras à mon enterrement avec ce titre. Dire qu'il régnait une ambiance glaciale n'est pas un euphémisme.

Les enterrement sont faits pour les vivants, c'est bien connu ; alors personne ne peut interdire quiconque de venir à cette cérémonie qui permet aux gens encore présents de faire le deuil des relations à leur façon.

Quelques personnes ont préparé des discours, faisant mon éloge et ravivant quelques souvenirs. Souvenirs douloureux pour mes parents et souvenirs inconnus pour toi.

Seules nous savons ce qui s'est passé entre nous deux, seules nous deux savons à quel point nous avons passé de bons moments, d'atroces également. Et ma mort n'arrête pas ta jalousie puisque tu détestes tous les souvenirs évoqués sans toi. Bien sûr tu en a formulé quelques uns mais ils paraissent tellement faux.

Réelle question, est ce que le thanatopracteur a remarqué les bleus à peine effacés ? Qu'est ce qu'il s'est dit ? Est-ce que l'information est revenue à mes proches ? Est ce que tu transformes toujours la vérité comme tu sais si bien le faire ? Est-ce que tu as réussi à t'attirer la pitié ? La pauvre fille dont la petite amie s'est suicidée... Il faut dire que cette petite amie a laissé de multiples âmes en peines derrière elle. Des amies, de la famille. Elle devait être aimée vu le nombre de gens présents à ses obsèques.

Sur le livre des condoléances apparaissent quelques noms qui me glacent le sang, des personnes qui n'auraient jamais dû m'enterrer. Parmi ces noms apparaissent mes grands parents, mon frère et ma soeur, mes nièces et enfin Lolita, Elodie, Andreina et puis Angéline, Automne et Christine. Autant de personnes qui ont étés importantes pour moi que de petits paragraphes remplis d'excuses.

Pourquoi faire des excuses d'ailleurs ? N'est-ce pas à moi de me réveiller et de m'excuser ? J'aimerai pouvoir vous parler et vous dire pourquoi je l'ai fait. Vous dire que ce n'est pas de votre faute mais bien de celle de la maladie qui me poussait à avoir des pensées violentes à mon encontre, des pensées autant envahissantes que déstabilisantes. Je me voyais foncer dans un arbre en voiture, prendre l'autoroute en contre sens, me jeter d'un pont ou sous un train, me couper les veines ou me défenestrer, prendre des médicaments ou rester. Vous ne pouviez savoir à quel point ces pensées ne voulaient pas me quitter. Je n'ai aucune idée de quand elles sont apparues mais une chose est sûre c'est que ça fait longtemps que je les ai. Tu n'as été que l'élément déclencheur. Une sacrée bombe à retardement.

J'ai été enterrée dans un cercueil en bois sombre, dotée d'une pierre tomable pas encore érigée, puisque pour les suicide, les dossiers funéraires sont rarement préparés. À l'intérieur du cercueil m'accompagnent des bijoux, des photos, des souvenirs, des dessins de mes nièces ainsi que ceux de mes cousins et cousines, des lettres de mes proches et mon roman préféré. Je porte une robe noire et je suis légèrement maquillée. Des gerbes de fleurs colorées sont à mes pieds ainsi que des plaques avec des mots variés dont ils se sont tous cotisés pour les payer. « À mon amie », « À notre fille », « À notre petite fille », « À ma cousine », « À ma tante ». Et dire que certains ont pris l'avion pour être là. Je suis sûre que quelques-uns d'entre eux pensent que nous filions le grand amour, après tout c'est ce que nous essayions de montrer.

La musique ? Du Céline Dion, du Queen et du Barbara Pravi.

Ma mère reste inconsolable, malgré Lolita et Papa à ses bras.

D'ailleurs elle flancha plus d'une fois, faiblissant à chacun de ses pas.

Les personnes les plus proches restent pendant la mise en bière du cercueil. Un moment touchant et privilégié auquel tu n'a pas souhaité participer, peut-être par peur d'être écoeurée. Dieu merci, je ne voulais pas te voir y assister.

Le jour de l'enterrement, ils ont planté du lierre autour de ma tombe pour que celui-ci la recouvre au fur et à mesure des années. Au printemps ils sèmeront des tournesols. Mes parents et mes amies viendront la fleurir le premier novembre de chaque année. 

Et pourtantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant