Et pourtant

Partie 5, chapitre 37

02/02/2024

Je me sens vide, vide puis repu ; puis écœuré. Boire de l'eau fraîche me fait du bien.

Je vais dans la salle de bain. Je fais face au miroir. Je fais aussi face à mes pensées et mes idées noires. Puis j'enlève mes bagues, mon collier et enfin mon gilet. Je me lave les mains pour éviter le cancer de la gorge. Je retire mes lunettes et je les pose au bord de l'évier. Puis je m'accroupis. Je réfléchis. Je pense à toute vitesse, je visualise tout ce que j'ai ingéré : quatre Twix, des champignons, des pommes de terre, du pain, six gaufrettes aux noisettes, dix Nutella Bready, une boîte de Mikado.

Combien de temps a duré l'épisode, déjà ? Vingt-trois minutes. C'est bon, je n'ai pas eu le temps de digérer tout ça.

Combien de calories ai-je ingurgitées ? 1000 kcal + 250 kcal + beaucoup trop ! J'ai déjà deux doigts dans la gorge alors que je n'ai pas fini de compter les calories. Je vois mon ventre rond et mon estomac rempli, je me sens ballonné. J'insère mes doigts encore une fois et une partie de l'eau que j'ai bu s'en va. Je me sens déjà plus légère. Je les insère une deuxième fois puis une troisième, puis je ne compte plus.

Je ne réfléchis plus, je suis soulagé à chaque morceau que je vomis. Je me libère d'un poids aussi bien mental que physique à chaque fois que mon estomac se libère de ne serait-ce qu'un petit bout de ce qui a servi à me remplir et à me détruire.

Je me sens constamment vide, j'ai tout le temps envie de me faire du mal ou de me détruire.

Je pense trop vite. La plupart du temps, je ne m'entends même pas penser.

Qu'est-ce que j'ai mangé ? Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Il faut que j'arrête ! Est-ce que j'ai encore toutes ces calories en moi ? Il faut que je continue, je suis sûre que je vais grossir. Est-ce que mon ventre est encore gonflé ? Arrête !

Le bras gauche qui m'appuie au sol est engourdi. Je le bouge puis avec ma main droite, je force plus loin dans ma gorge. Je cherche le réflexe nauséeux qui ne vient pas. Mon estomac ne veut plus rien rendre.

La phalange du majeur de ma main droite me fait souffrir. Je ne vomis plus que de la bile. Je suis essoufflée. Je sens mon cœur qui va plus vite que mes pensées, je suis épuisé. Mon ventre a dégonflé. Je me sens sale.

Je tire la chasse d'eau. Je me relève et affronte mon regard dans le miroir.

De l'eau, j'ai soif. Mes yeux sont rouges. Mes lèvres gonflées. Je me passe de l'eau froide sur le visage. Je me lave de mes maux et je rince ma bouche, je veux le goût de quelque chose de pur.

Dans deux heures je pourrais me laver les dents et avoir le goût de la menthe. Est-ce qu'il y a des calories dans le dentifrice ?

Je relève ma tête et je touche mes clavicule saillantes. Elles sont plus visibles qu'avant. J'aime ça.

Pendant que je remets les bijoux, je me dis que demain je ne mangerai rien. Je garderai juste un fruit pour ne pas tomber dans les pommes. Je remets mes lunettes. Je souris à mon reflet. Je vais chercher le roman que je suis en train de lire et de quoi l'annoter, je remets mon gilet et je vais dans les parties communes. J'espère pouvoir y contenir mes pensées.

Je regarde la trace de mes dents qui est imprégnée dans ma peau. Est-ce une cloque que je vois là? Ah oui, une ampoule. Je m'assois. Je croise les jambes. Je les aime plus qu'avant mais je pourrais les aimer davantage si elles étaient plus fines. Demain elles le seront. Mais seulement si j'arrête de me goinfrer. Il faut que j'arrête de ne penser qu'à la nourriture ! J'ouvre mon livre, je l'annote pour me concentrer.

Je croyais que mon miroir de salle de bain était le seul spectateur de ce que je ne contrôle pas mais maintenant il y a vous, il y a toi.