Il est 17:06 lorsque tu sors par le grand portail vert de l'école primaire. Mon visage est crispé, toi tu as pleuré. À peine arrivée à ma hauteur, tu me demandes ce qui me prend. Nous nous asseyons sur le banc et nous parlons tranquillement. L'heure des reproches a sonné. Tu dis ne rien comprendre, être perdue. Tu n'en peux plus. Tu me fais part du mauvais pressentiment qui te guettait ces derniers jours. C'est comme si tu avais deviné que j'allais te quitter. Tu l'avais senti mais sans pour autant m'en parler ou essayer de changer.
« Il y a bien quelque chose qui cloche ces derniers temps mais je ne parviens pas à t'expliquer. » Je te dis que j'ai besoin de temps, que j'ai besoin de me retrouver, que tout ça est un peu précipité. Tu me réponds que c'est cette décision qui est prise à la volée. Tu es convaincue que mes parents m'ont retourné le cerveau, que je n'ai pas pris cette décision seule, que je ne suis pas objective. Tu penses encore pouvoir me convaincre que la rupture n'est pas une bonne idée. Moi je te dis que c'est de déménager qui est déraisonné. Tu me dis que je n'ai pas le droit de te quitter. Seulement, je me rappelle que j'ai fais le plus compliqué, je me suis enfuie, je ne veux pas faire machine arrière.
Il commence à pleuvoir, ton père intervient. Il nous dit d'aller dans la voiture afin de continuer de discuter.
Là tu ne réalises toujours pas. Tu n'envisages pas de séparation. Je rame, je ne sais plus comment faire. Tu me convainc de venir manger avec vous pour avoir l'avis de ta maman. Et j'accepte. La route en voiture me parait interminable. Lorsque nous rentrons, elle nous attend et nous fait un sourire aimant. Elle reste étrangement silencieuse et je ne touche presque pas à mon assiette. Je ne me sens absolument pas prise au sérieux, j'ai l'impression que l'on me voit comme une enfant qui fait un vilain caprice, alors qu'en réalité je suis de la poudre à canon qui explose au simple contact de ta flamme.
Ton père, lui, est convaincu que j'ai trouvé quelqu'un d'autre, que je te trompes et que je ne veux pas te le dire. Si seulement. Ça aurait sûrement été plus simple. Je pleure encore et encore, je ne vois pas le bout de cette discussion. Ce labyrinthe est décidément trop grand. Il veut ma mort.
Mon père est à la maison et il m'attend, il doit bien se demander ce que je fais. J'aimerais qu'il soit là avec moi. Je me sens tellement seule.
Je vois cependant, dans les yeux de ta maman, quelque chose de réconfortant. Cela m'aide à tenir bon. Elle ne dit rien. Je sais qu'elle sait. J'aimerai tant pouvoir te dire devant eux que tu me bas, que tu es violente avec moi. J'aimerais mais je n'y arrive pas.
Dans un accès de colère, tu cries et tu retires tous les bijoux que je t'ai offerts ou qui m'appartiennent. Tes parents essayent de te calmer mais je ne les arrête pas, je veux qu'ils voient cette partie-là de toi. J'arrive à te dire que je me fiche de tout le matériel. Tout ce à quoi je pense maintenant c'est à mon désir de liberté. J'ai trop longtemps été enfermée. Là tu me sors :
« Si j'avais su, on aurait pas déménagé et je t'aurais gardé plus longtemps. »
Tes parents te reprennent et te raisonnent. On ne peut pas garder quelqu'un pour l'éternité si celle-ci veut s'en aller.
Nous nous isolons dans le salon et tu deviens hystérique. Je vois dans ton regard que tu es prête à tout casser. Si nous avions été à l'appartement, tu l'aurais déjà fait. Nous sommes chacune assises en face de l'autre, sur des chaises grisâtres. Tu cherches des solutions, des compromis, tu fais des hypothèses. Tu veux sauver notre couple et je ne t'en veux pas pour ça. Mais ce que je ne comprends pas c'est que tu ne vois pas à quel point je n'ai plus de force pour quoi que ce soit. Je suis prête à faire une croix sur ma propre vie pour en finir avec toi. Je t'ai pourtant fait part de mes idées les plus noires. Et tout ce que tu as trouvé à me dire paraît comme monté à l'envers. Tu m'as dit je cite :
« Si tu me quittes, je ferais la misère à toi et à ta famille, je sais ou vous habitez, je te ferais vivre un enfer. »
Mais l'enfer c'est d'être avec toi. C'est de trembler à chacun de tes pas.
Il est tard et nous avons toutes les deux besoin de réfléchir. Je te dis que je vais rester chez mes parents pour un bon moment. Tu me supplies de dormir avec toi mais je ne veux pas. Cette fois-ci tu ne me forceras pas. Tu me donnes rendez-vous demain ici même, à neuf heures. J'y serai.
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Et pourtant
RomanceEloïse n'a que vingt ans lorsqu'elle s'enferme sans s'en rendre compte dans une relation toxique avec une perverse narcissique. Progressivement elle dépersonnalise et se laisse mourir car elle ne supporte plus les violences. Cette relation fini par...