Partie 5, chapitre 33

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Savez-vous ce que cela fait de se sentir vide ? D'avoir l'impression de ne plus avoir d'organes ? De croire que l'on nous a vidé à la petite cuillère de toute matière ? Il parait que c'est un des symptômes de la dépression. En plus du ressenti de n'avoir plus aucune force, on en vient à se demander à quoi bon essayer de ressentir quelque chose.

Cette sensation de vide prend tellement de place dans votre corps qu'elle finit par décrire le vide que vous ressentez dans votre cœur. Cette douleur, je ne la souhaite à personne, même pas à ma pire ennemie.

Cette sensation vous donne progressivement l'envie de vous laisser aller, de ne plus penser, d'abandonner. Et quand ces ruminations deviennent de plus en plus concrètes, votre corps, dans un élan d'instinct de survie, se bat pour les chasser. À ça, il trouve le moyen de se faire du mal pour contenir son envie de mourir. Car qui voudrait faire subir ça à ses proches ? Qui voudrait assister à ces pleurs et à cette douleur ? Mais il arrive un moment où les pensées sombres s'installent et deviennent progressivement une raison de tenir bon. Simplement parce que nous savons que nous pouvons mettre fin à cette douleur un jour, de façon définitive je veux dire, nous trouvons l'énergie nécessaire de se lever le matin. N'est-ce pas paradoxal ? Mais la vie est un paradoxe géant.

Nous vivons alors que nous savons que nous allons mourir, et nous aimons alors que nous savons que nous allons souffrir.

Alors la vue de mon sang lorsque je me scarifie est devenu un apaisement et la sensation d'être repu après chaque crise de boulimie est un exutoire. Ce sont les seuls moyens que j'ai trouvés pour ne pas partir pour de bon, pour rester en vie.

Seulement, les voix dans ma tête sont devenues de plus en plus difficiles à ne pas écouter. La sensation de vide est devenue de plus en plus difficile à combler. La peur de prendre du poids m'a entraîné dans le cercle vicieux des TCA.

Je suis devenue une loque qui n'a trouvé d'autres moyens que de dormir. Un moyen d'être là sans être là. Alors je me lève tard, sautant les deux premiers repas de la journée et je vais au cinéma pour louper le dernier. Je lis toute la nuit pour comprendre les maux qui me collent à la peau, les mots que je ne parviens pas à trouver. Je m'occupe de mes poissons, je me dis qu'ils ont besoin de moi comme moi j'ai besoin d'eux.

« Pars, pars pour de bon » me dit sans cesse la voix dans ma tête. « Il suffirait que je m'entaille plus profondément », je pense à chaque fois que je me coupe le bras ou les cuisses. « Il me suffirait de passer plusieurs fois sur la même plaie pour aller plus loin encore et encore, jusqu'à ne plus pouvoir m'arrêter. Il me suffirait d'avaler tous mes cachets ou de me défenestrer. Je pourrais foncer dans un arbre en voiture ou prendre l'autoroute à contre sens. » Il y a toutes ces phrases qui se répètent et qui me donnent l'impression que celle-ci va exploser.

Ce sont toutes ces phrases qui m'ont mené, dans un élan de surhumanité, aux urgences psychiatriques après les fêtes de fin d'années. Ces mêmes phrases ont suffi pour alerter les psychiatres et me faire interner. Dans un hôpital psychiatrique d'abord, car ma clinique de secteur était bondée puis dans celle-ci lorsqu'elle eut été désengorgée. Là-bas j'y ai retrouvé l'amie que je m'étais faite pendant ma première hospitalisation. J'y ai retrouvé les soignants qui m'ont donné envie de faire ce métier. J'y ai trouvé un endroit dans lequel on a le droit d'aller mal, de n'être que du vide. J'aime pouvoir y dormir toute la journée sans avoir à m'expliquer.

Les journées sont rythmées par les prises de sang, les traitements et les repas. Le reste du temps, je lis et je fais du puzzle avec Emilie. Nous partageons nos peurs et nos doutes, nos envie de suicide et nos angoisses. Nous nous entraidons lorsque nous n'allons pas bien et nous essayons de faire en sorte de comprendre l'autre, de positiver et de nous en tirer. Nous allons nous balader tous les jours autour du bâtiments et nous nous tenons compagnie dans nos chambres même si cela est interdit. Nous nous attendons après chaque permission pour débriefer sur ce qui s'est passé. Nous nous prenons dans les bras à chaque coup de mou et nous nous faisons la promesse qu'un jour nous irons mieux.

Et pourtantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant