Les délices de Charline

Diversification

Le lendemain je passe par le cimetière à l'aube.

Habituellement je dépose une fleur chaque dimanche sur la tombe d'Elisabeth et Jean.

C'est un moment important chaque semaine, je ressens le besoin de me recueillir et de leur raconter mes aventures avec mes amis et au commerce.

Je passe de longues minutes à me remémorer nos plus beaux souvenirs et je me surprends à rire et à pleurer. Je sens leur présence et cela me réchauffe le cœur.

Le rendez-vous avec l'expert comptable est à 10h ce jour.

Je réunis l'ensemble des documents demandés et attend son verdict.

Marielle était au lycée avec nous. Nous n'étions pas forcément amies mais nous nous entendions bien. Elle a l'ambition de reprendre le cabinet de ses parents lorsqu'ils prendront leur retraite dans quelques années.

- Charline, je vais être honnête avec toi. Tu as eu une saison extraordinaire et très lucrative mais malgré tout le chiffre d'affaires accumulé tu restes déficitaire. Toutes tes charges ont augmenté de façon exponentielle sans parler du salaire que tu verses à Estelle.

- Attends je ne comprends pas Marielle, comment est-ce possible ?

- Tu dépenses plus que tu ne gagnes pour résumer. Tu dois soit augmenter tes ventes soit réduire tes dépenses.

- Comment puis-je réduire mes dépenses ?

- Tu as fait le choix des producteurs locaux et les prix sont très corrects donc ce n'est pas le plus problématique. Ta dépense énergétique est colossale néanmoins. Vu l'ancienneté de la bâtisse il faudrait prévoir des travaux d'isolation ou des solutions plus économes. Le problème c'est que tu n'as plus beaucoup de fonds d'avance. Tu puises dans les réserves et cela commence à être critique.

- Critique ? A ce point ?

- Je suis désolée Charline. Sois tu trouves une solution pour renflouer les caisses, soit tu devras prendre des décisions difficiles.

- Comme vendre au promoteur ?

- Cela peut être une solution oui en effet.

- Combien de temps je peux tenir selon toi ?

- Quelques mois je crains.

Je me sens étourdie et pris d'un vertige.

- La seule solution serait de diversifier ton activité et attirer une nouvelle clientèle locale. Ce qui pêche ce sont les mois d'automne et d'hiver. Tu t'en sors relativement bien pendant la haute saison mais ce n'est malheureusement pas suffisant.

- A quel genre de diversification tu penses ?

- On va faire une étude de marché si tu veux et réfléchir à toutes les options qui s'offrent à toi.

- Faisons ça Marielle, je vais me battre pour conserver ce lieu.

- Je sais ce qu'il représente pour toi et je ferai tout pour t'aider à le conserver.

Quand on est délaissé par ses parents et élevé par les commerçants les plus adorables du village on inspire la sympathie. De ce fait j'ai eu une scolarité plutôt tranquille et aucun élève ne m'a jamais embêté. De toute façon Estelle n'aurait jamais laissé un enfant se moquer de moi ! Elle se battait même avec les garçons lorsqu'ils ne voulaient pas nous céder la place dans la cabane... Après la disparition de Jean et Elisabeth les habitants du village ont continué à venir me soutenir en réservant des déjeuners en famille le midi, les producteurs ont maintenu des prix très attractifs, les petites mamies sont venues  boire le thé même si je n'offrais plus d'activités artistiques comme le faisait Elisabeth. Marielle est l'exemple des professionnels qui m'entourent sans me demander de payer un centime pour ses services. Je suis un peu l'œuvre de charité de ce village, j'en suis très reconnaissante et peu honteuse à la fois.