Bienvenue chez moi

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Ma mère sort et m'accueille avec une joie disproportionnée.

Mon père est en cuisine et arrose ce qu'il ressemble à une volaille.

Cinq ans que je n'ai pas mis les pieds dans cette grande bâtisse et rien n'a changé, tout est à la même place comme si le temps s'était figé. Des portraits de couple et de famille trônent dans le couloir. Tout a l'air si parfait sur les clichés.

- Installe toi Charline, tu veux boire quelque chose ?

Mon père a une immense cave garnie les plus grands crus. Tout sent le luxe et l'abondance dans cette maison, abondance de richesse mais pauvreté de cœur, pensé-je.

Chaque meuble, chaque objet a été conçu et désigné par un architecte et ami de mon père.

Je me souviens d'un été où Estelle et moi courrions dans le salon et avions malencontreusement cassé un vase dont la forme était tout simplement grotesque. Nous l'avions jeté à la poubelle et avions gardé le secret de peur d'être grondées.

Estelle adorait venir jouer ici pendant les jours de repos de mes parents car j'avais les plus belles et les plus merveilleuses maisons de poupées. Quand j'y repense aucun cadeau, aucune babiole ne m'a jamais fait sentir réellement chez moi. Mes parents étaient absents même lorsqu'ils étaient présents. Ils ne jouaient jamais avec moi, ils s'assuraient simplement que je ne manque de rien et que je sois présentable.

Un week-end lors de mes 16 ans j'avais invité Estelle, Gabriel et Sacha. Mes parents étaient partis en balade avec des amis et j'avais fait croire à Elisabeth et Jean que je passais le week-end chez Estelle. Nous avions passé des heures entre le jacuzzi et la piscine et j'avais perdu ma virginité ce fameux samedi soir.

Je souris en imaginant leurs têtes s'ils étaient rentrés à l'improviste et avaient trouvé la maison pleine de paquet de chips, de bouteilles d'alcool, d'herbe ramenée par Sacha mais surtout leur fille nue sous les draps avec un garçon !

Je m'assois près du bar et déguste un cocktail qui est loin d'être à la hauteur des expérimentations gustatives d'Estelle.

Ma mère prend la parole en premier.

- On aurait dû faire cela il y a plusieurs années. Cinq ans sans se voir c'est une hérésie, tu ne crois pas ?

- Disons plutôt cinq ans sans se disputer, ajouté-je d'un ton piquant.

- On aurait dû t'appeler à la mort de Jean et d'Elisabeth, poursuit mon père.

- Vous étiez aux obsèques.

- Tu avais l'air si bien entourée par tes amis, nous n'avons pas voulu nous imposer puis après tout ce temps ...

Ma mère marque une pause et je remarque des trémolos dans sa voix. Deviendrait-elle humaine en vieillissant ?

- Charline, ne crois-tu pas qu'il est tant d'enterrer la hache de guerre ?

- J'ai accepté de venir dîner, j'ai fait un pas vers vous non ?

- Oui c'est vrai et je te remercie d'avoir accepté, ajoute mon père. Parle nous de toi, de tes projets, je veux tout savoir !

Il se fout de moi. Il a passé toute mon enfance et mon adolescence à m'ignorer et voilà qu'il veut tout savoir ! Je ravale ma rage et lui réponds de mon sourire le plus hypocrite.

- J'ai participé à l'enregistrement d'un album studio et j'ai tourné dans un clip au cours du mois dernier.

- Je le savais, tout le monde en parle à la clinique mais je voulais voir ce sourire sur ton visage.

Il en fait beaucoup trop et mes paroles dépassent ma pensée.

- On parle de moi à la clinique ? Je pensais que vous aviez caché mon existence ...

- Voyons Charline, ne raconte pas de telles sottises s'il te plait. Nous n'avons jamais eu honte de toi. Nous avions simplement des projets. Tu as suivi ton propre chemin et nous avons fini par l'accepter, un peu tard à ton goût je sais.

On dirait que ma mère lit dans mes pensées.

- Il n'existe pas de mode d'emploi du parfait parent, ironisé-je.

Ma mère se retient de me balancer une saloperie, je le vois et cela me fait sourire. La contrarier est ma principale préoccupation lorsque je suis en sa présence.

On dirait que ce soir je joue seule mais je ne compte pas en rester là.

- Tu as un nouvel homme dans ta vie, à ce qu'il paraît ? m'interroge mon père.

- Oui un professeur. C'est validé ou je peux faire mieux ?

- Tant qu'il te rend heureux c'est le plus important, ajoute-t-il.

- Gabriel aussi me rendait heureux mais Samuel a l'âme d'un artiste. Parfois la vie ne tient pas à grand-chose...

Ils me regardent gênés mais ne répondent pas. Mon père retourne en cuisine pendant que ma mère met le couvert.

- Comment se passe la transition au commerce ? enchaîne mon père.

- Annabelle gère comme une pro. Elle a de nouvelles idées de diversification. Je la laisse maître du bateau tant que les résultats sont bons.

- Tu parles comme une vraie business-woman, me taquine mon père.

- Cet endroit compte bien trop pour moi. Je ne laisserai personne le détruire.

Le repas se poursuit dans une atmosphère chargée mais je me contiens et ma mère également.

A la fin du repas je monte rapidement dans ma chambre. J'ignore si un jour je passerai à nouveau une nuit ici. Tant que le commerce vivra, il restera ma demeure.



Les délices de CharlineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant