Les délices de Charline

réflexions

Le lendemain lorsque Gabriel arrive au commerce je suis incapable de cacher mon angoisse.

- Tu as l'air au fond du seau ma chérie, tu vas bien ?

Je ne peux pas continuer à lui mentir. Il faut que je lui parle de Samuel, de mon souhait de renouer avec la musique et de mon incertitude à conserver le commerce. Le problème c'est que je n'ai aucune réponse à mes interrogations.

- Je ne me sens pas très bien. Je pense que je suis fatiguée. Je vais demander à Astrid de prendre le relai quelques jours au commerce.

- Si tu en ressens le besoin prends quelque jour de repos. Je peux faire quelque chose pour t'aider ?

Mon dieu il est tellement adorable. Je culpabilise tellement de mes sentiments pour Samuel.

- Je vais prendre rendez-vous avec Marielle pour connaître mes options.

- Tu parles du commerce ?

- Oui.

- Tu sais ce que tu veux faire ?

Je n'ai jamais été aussi paumée de toute ma vie mais je ne peux pas lui dire, pas comme ça, pas maintenant.

- Je ne veux pas vendre, c'est ma seule certitude. Je veux rester propriétaire mais je n'ai plus l'envie et l'énergie pour la gestion.

- Elle va sûrement te proposer une location gérance ou une gérance salariée.

- Cela consiste en quoi ?

Nous parcourons différents articles pour connaître les différentes options et modalités en cas de cession d'un fonds de commerce.

- Tu veux reprendre tes études ? Tu pourrais t'installer chez moi le temps de passer ton diplôme. Mon salaire peut couvrir nos dépenses communes.

Et voilà qu'il me propose d'emménager chez lui alors que la veille j'ai laissé un autre homme déposer un baiser sur mes lèvres et que j'ai adoré ça.

- Je vais d'abord réfléchir à la question du commerce avant de penser à une reconversion mais oui la reprise de la musique est ma plus grosse piste, tu l'as bien compris.

- J'ai toujours gardé l'espoir que tu reprennes ce chemin. Tu étais bien plus joyeuse lorsque tu étais musicienne.

Marielle est disponible pour un rendez-vous la semaine prochaine. En attendant je continue mes recherches sur le net et note toutes les informations susceptibles d'éclairer mon choix.

Astrid est d'accord pour prendre le relai la semaine au commerce mais je vais devoir jouer le jeu pour le week-end afin de ne pas exploser mon budget consacré au paiement de la main d'œuvre.

Je passe mes journées à composer de nouveaux morceaux et je suis impatiente de les présenter à Samuel mercredi soir prochain.

Nous convenons que cette fois c'est lui qui viendra au commerce muni de son équipement.

Marielle passe en vitesse me conseiller les différentes options.

- Comme te l'as expliqué Gabriel la location gérance est un contrat par lequel le propriétaire d'un fonds de commerce confie à un autre commerçant la libre gestion de son fonds en contrepartie d'une redevance.

Dans la gérance salariée, le gérant travaille et gère le fonds de commerce pour le compte du propriétaire. Le gérant salarié perçoit un salaire fixe en échange de ses services de gestion.

- Donc pour résumer soit je paie quelqu'un pour gérer le commerce et je reste maître des décisions, soit on me paie pour l'exploiter mais j'en perds la liberté de décision ?

- Tu as tout compris.

- Que me conseilles-tu ? Je t'avoue que je suis un peu larguée...

- Je vais être franche avec toi, tu n'as pas les moyens de recruter un gérant et de le rémunérer à la hauteur de ses compétences.

- Cela signifie que je n'ai pas d'autre choix que trouver un commerçant qui voudra me payer une redevance pour gérer un commerce qui n'est pas encore complètement pérenne ?

- Sauf si tu trouves quelqu'un qui a envie d'investir du temps dans le développement. Il pourra négocier une participation des bénéfices donc en gros plus le commerce devient rentable et plus il percevra une rémunération.

- Je te remercie pour tes conseils Marielle, une fois de plus.

J'y vois un peu plus clair et vais devoir rapidement prendre une décision. Je ne peux pas compter sur Astrid plus que quelques mois car elle va débuter son école d'infirmière.

Ma routine avec Samuel se poursuit pendant plusieurs semaines et nous avons réussi à enregistrer une dizaine de vidéos. Il me propose de créer une page sur les réseaux sociaux afin de partager mon travail au monde entier.

- C'est le seul moyen de te faire connaître aujourd'hui. Malheureusement tu n'as pas un grand réseau puisque tu as coupé les ponts avec tes anciens professeurs et tes camarades du conservatoire. Je connais quelques personnes mais ce ne sont pas les plus influents.

- Je te fais confiance.

Je communique quasiment tous les jours par e-mail avec Estelle. Elle me parle de ses longues journées au musée, elle me présente ses nouvelles connaissances et ses premières œuvres latines. De mon côté elle est au courant de mes dernières aventures. Elle est ravie que je me consacre à nouveau pleinement à la musique, elle est plus mitigée concernant l'avenir du commerce mais espère qu'un commerçant courageux et volontaire saura perpétuer notre travail et celui de mes bien-aimés prédécesseurs.

Ma relation avec Gabriel est en dent de scie. Il ne sait plus quoi inventer pour me faire plaisir et plus il s'acharne à essayer et plus je prends mes distances.

Il sait que je collabore avec Samuel et qu'il est celui derrière la caméra filmant mes compositions et les dévoilant sur le net. Il m'interroge quasiment tous les jours sur la nature de notre relation et si mon éloignement a un lien avec lui.

Depuis notre récent baiser Samuel se montre assez distant. Il s'implique énormément dans le montage et la diffusion des vidéos, dans le choix des morceaux et me donne son avis sur mes compositions mais il n'a montré aucun nouveau signe d'affection à mon égard. Peut être qu'il a réalisé que c'était une erreur et qu'il regrette son geste.

Ce mercredi il est en avance et se présente au commerce à 17h.

- Salut Charline, j'ai avancé mon dernier cours car la prof de français était absente. Tu es prête pour le tournage ou tu préfères que je revienne à la fermeture ?

- Salut Samuel. On peut aller chez toi si tu veux ?

- Oui aucun problème.

- Je te laisse fermer Astrid et je te dis à demain.

Astrid boude et me lance un regard accusateur que j'ignore.

Non mais quel audace cette jeune fille, je déteste être jugée en un regard. Je lui dirai demain que ma vie privée ne la regarde pas et qu'elle peut garder son avis. Ou alors je ferais mieux de lui proposer une petite augmentation pour la remercier de toutes ces heures à gérer seule en mon absence...

Je m'installe rapidement au piano et laisse Samuel capter toute l'intensité du morceau que je joue.

- Tu as vu toutes les vues et tous les commentaires que tu as généré en quelques jours ?

- C'est insensé. Je ne pensais pas que nos vidéos seraient aussi suivies et appréciées.

- Tu as autant de commentaires sur ton jeu au piano que sur ta beauté, tu as vu ?

- C'est toi qui sublimes le tout, je n'y peux rien.

Mon téléphone sonne, c'est Gabriel. D'habitude il ne m'appelle jamais pendant ses entrainements avec Sacha. Je laisse sonner et me dis qu'il laissera un message si c'est urgent.

Nous reprenons le fil de notre travail quand la sonnerie de la porte d'entrée retentit.