- XII -

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Hayleen

— Tu ne me feras pas avaler ça, Hayleen.

Keida enfourne un sushi en me dévisageant de ses grands yeux bleus, tandis que je secoue la tête en esquissant un sourire.

— Ne raconte pas de connerie, Keida. Ce mec ne s'intéresse à rien ni personne d'autre que son nombril. Il veut m'entraîner dans un bourbier bien bancal, et je me fais juste une joie d'y sauter à pieds joints en le tirant avec moi.

— Puisque je te dis qu'il ne te prend pas simplement pour un jeu, insiste-t-elle. Écoute, ça fait presque vingt ans que je le connais, nos parents étaient voisins quand nous étions gamins. Et jamais, je dis bien jamais, il n'a été comme ça avec une fille. Il a déjà roulé des pelles à ses conquêtes sous mon nez, oui. C'est limite s'il n'a pas déjà baisé devant moi. Mais jamais il n'a fait preuve d'autant de passion, et en même temps d'autant de retenue. En général, il prend son pied le temps d'une soirée, il ne pense pas spécialement au plaisir de sa partenaire, et il la jette quand il s'est vidé.

Je soupire en prenant un air blasé.

— Mais quel charmant garçon... ironisé-je, tandis qu'une jalousie sournoise s'enroule autour de mon cœur. Raison de plus pour ne pas céder à ses caprices. Parce qu'en admettant que t'aies raison, ça ne mènerait à rien de bien, et ce pour plusieurs raisons.

— Je t'écoute.

Je dois vraiment me justifier, là ?

— Primo, c'est un malade mental qui ne sait pas gérer sa colère autrement que par la violence, énoncé-je en levant mon index devant moi.

— Admettons.

— Secundo, c'est un enfant capricieux et lunatique, je n'ai pas envie de finir embrochée sur le tisonnier de la cheminée parce que j'ai refusé de lui préparer un cheesecake, poursuis-je en levant mon majeur.

— Je te le concède.

— Et tertio, c'est un peu mon patron, conclus-je en levant mon annulaire. Le genre de relation interdite, tu sais ?

— Bon, commence-t-elle en posant ses baguettes sur la table avant de croiser les bras sur sa poitrine avec un air sérieux. J'ai bien compris que vous aviez un passé relativement lourd. Mais c'était il y a plusieurs années, Hayleen. Il mérite peut-être que tu lui laisses sa chance, tu ne crois pas ?

Je détourne le regard, le temps de réfléchir à sa suggestion.

Même en admettant qu'il soit sincère dans ses gestes, et qu'il cherche vraiment à se faire pardonner. Il y a toujours cette histoire louche, celle qui nous a conduits l'un à l'autre à un moment si précis que ça ne peut pas être qu'une coïncidence.

Il a cherché à me retrouver.

Ce qui nous amène au second problème : pourquoi moi, et pourquoi maintenant ?

Il cherche à me manipuler, il est conscient des miettes de sentiments qui sont restées collées à mon cœur, même après toutes ces années. Et ce qui me dérange, c'est qu'il semble vouloir en profiter. Alors non, il ne cherche pas à se faire pardonner. Keida se trompe sur toute la ligne. Il a besoin de moi et de ma docilité, pour je ne sais quel projet tordu. Et il fait tout pour que je devienne dépendante de lui, pour que je ne puisse pas le trahir quand arrivera le moment crucial.

Je reporte mon attention sur Keida, qui a repris sa dégustation de sushis. Elle lève son visage tacheté vers moi, les joues gonflées de riz et de saumon.

Red Light - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant