La jeune femme rousse ferme la porte et le brouhaha se dissipe, laissant place au silence. On peut désormais entendre le bruit de ses Dr. Martens claquer sur le sol au rythme de ses pas.
Lorsqu'elle atteint l'espace entre le tableau et son bureau, elle s'arrête. Elle nous regarde tous individuellement. C'est fou le temps qu'elle passe à essayer de créer un lien avec chacun d'entre nous. Comme si elle voulait que l'on se sente unique. Et je crois bien qu'elle y arrive. Je me sens moi-même quand elle me regarde, et pas juste une élève parmi tant d'autres.
Elle jette rapidement un coup d'oeil à Agathe mais la pauvre ne peut pas s'empêcher d'avoir une réaction visible. Elle se met à rougir sans savoir où regarder. Quand vient mon tour, je n'hésite pas à maintenir le regard, les bras croisés. Je pense l'avoir déstabilisé parce que c'est elle qui détourne le regard. Ne sachant pas où placer les yeux, elle reprend son activité de l'autre côté de la classe.
- À quoi elle joue ? me chuchote discrètement Agathe après s'être remise de ses émotions.
- J'en ai aucune idée, lui réponds-je sans quitter du regard les beaux yeux verts de notre professeur.
Au bout d'une vingtaine de secondes d'analyse, la jeune femme décide de briser le silence et de se présenter :
- Bonjour à tous, je suis Atlanta Johnson et non je vous vois venir, je ne viens pas de l'état de Géorgie. Je suis née ici en France mais la plupart de ma famille vit en Angleterre. Vous devez sans doute déjà tous vous connaître au lycée puisque vous y étiez l'année dernière, mais je viens d'arriver seulement lundi et je dois avouer que je me perds facilement, déclare-t-elle sans avoir peur du moindre jugement.
- Je tiens aussi à vous préciser, reprend-elle, que je suis à la fois souple mais aussi très stricte, c'est-à-dire que si vous ne cherchez pas d'ennui, vous n'en aurez pas. Mais à l'inverse, si vous ne respectez pas ce cours, attendez-vous à me trouver derrière vous à chaque instant.
Super, le long discours qui veut tout et rien dire. Ça se voit qu'elle cherche à enfoncer ses élèves plutôt que de les tirer vers le haut. Mais bon, si j'ai bien compris il suffit que je me tienne à carreau et tout se passera bien. C'est pas trop mon truc de me tenir à carreau. Je préfère tenir tête.
Une bonne demi-heure passe, le cours débite à toute allure et tout ça sans un mot de français. Il faut bien s'accrocher et ne pas perdre le fil. Heureusement que je sais écouter Madame Johnson et discuter avec Agathe en même temps.
- J'ai hâte de voir Simon ce midi ! Tu as de la chance de prendre le bus avec lui le matin, me murmure Agathe.
- Je crois qu'il aura du nouveau à nous raconter avec la fille de sa classe, réponds-je à voix basse, mais pas assez pour passer inaperçu.
La prof nous remarque, elle tourne aussitôt la tête dans notre direction et s'adresse à nous :
- Je ne vous dérange pas ? Un petit thé ? Des petits gâteaux ? nous lance-t-elle sarcastiquement.
Tout ce stress accumulé depuis le début de l'heure me fait répondre sans réfléchir, un peu comme un mécanisme de défense.
- Ces coutumes sonnent très « British ». En revanche, je ne dis pas non à un petit Spritz, rétorqué-je dans un élan de confiance, alors que les yeux de mes camarades se rivent sur moi.
Je ne sais pas d'où m'est venu le courage de m'imposer, surtout dans cette matière. J'aurai peut-être mieux fait de me taire et éviter l'insolence pour cette fois. J'ai si peur de sa réaction, elle a l'air tellement imprévisible.
- Mademoiselle Marinato c'est ça ? m'interroge-t-elle. À en juger par votre nom de famille cela doit être une coutume italienne... Étant donné que ce n'est que votre premier cours avec moi, je vais vous faire une faveur en évitant de vous descendre publiquement. Passez me voir à la fin du cours, dit-elle sèchement tout en feuilletant ses notes.
- Bien. Avant de reprendre, je souhaite juste vous rappeler qu'il est strictement interdit de consommer quelconque alcool à votre âge, plaisante-t-elle.
Même sans m'avoir soi-disant « descendu publiquement », elle m'a refroidi. Elle a beau être petite, elle n'en est pas moins charismatique. Je n'ose plus parler, mais à la fin du cours elle va voir ce qu'elle va voir. Je ne vais pas me laisser faire.
Comment peut-elle plaisanter avec la classe juste après m'avoir remise à ma place ? Pour nous faire la morale sur l'alcool en plus ? Elle nous prend vraiment pour des bébés tout droit sortis du berceau. Quelle vieille bique celle-là ! Cela se voit qu'elle n'a jamais mis les pieds dans une soirée.
J'appréhende un peu la fin du cours, mais je reste silencieuse le temps restant. Je préfère éviter d'attirer de nouveau son attention. La sonnerie retentit à deux reprises. Le bruit des chaises m'agresse les oreilles. Le brouhaha du début de séance reprend massivement. Tout le monde range ses affaires tandis que je reste assise sagement.- Ça va aller ? s'inquiète Agathe.
- Ne t'inquiète pas Aggi, je ne vais pas la laisser faire la maligne plus longtemps, la rassuré-je.
- Ne sois pas trop insolante, me conseille-t-elle. Je vais prévenir le prof du prochain cours que tu as un contre-temps.
- Oui, faites donc ça Mademoiselle Mercier, s'impose la jeune femme rousse.
Agathe attrape son sac et l'enfile sur son épaule. Elle adresse un léger sourire de politesse pour saluer la professeur et s'en va en fermant la porte derrière elle.
La salle est maintenant complètement vide et silencieuse. Madame Johnson se tient à quelques pas de moi. Seule la table nous sépare. Je suis encore assise lorsqu'elle se place face à moi et baisse la tête pour me regarder, une main dans la poche de son jean et l'autre appuyée sur la table.
Je m'attends à ce qu'elle prenne un ton agressif ou sec du moins, mais au lieu de ça, elle prend une voix affectueuse et me demande :
- Alors comme ça vous aimez le spritz ? C'est votre cocktail préféré ?
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Spritz
Lãng mạnKiara, risque de mettre en péril son avenir scolaire si elle continue de se comporter de manière aussi insolente en classe. Elle fait mauvaise impression au près d'Atlanta, sa professeur d'anglais qui n'hésite pas à la remettre à sa place. De cette...