Spritz

Chap 14

          Je n'ai jamais croisé Madame Johnson un lundi, pourtant quand elle est partie de chez moi elle m'a saluée en insinuant qu'on se verrait aujourd'hui. Peut-être était-ce pour jouer la comédie devant ma mère.

          La journée était interminable. On a même dû se coltiner Astrid aux pauses. Au secours Simon, ouvre les yeux et change de copine.

          Je suis finalement rentrée chez moi sans avoir parlé à ma professeur d'anglais. Elle m'a vu au loin. Elle m'a fusillée du regard, puis elle est partie dans la direction opposée. J'ai bien peur qu'elle ne m'en veuille pour ce que j'ai raconté à ma mère à propos d'elle.

          Il faut dire que ce n'était pas de la méchanceté gratuite. Les premiers jours de cours, elle a été vachement rude avec moi.

Le mardi, elle a encore pris la fuite quand elle m'a vue, tout en me lançant un regard noir.

          J'ai l'impression de prendre réellement goût aux mathématiques, même si le prof suit le programme de manière un peu trop intensive. Il m'a encore félicitée pour mes efforts. Je l'adore !

Ce soir, j'ai décidé d'aller me vider la tête. Avec Agathe et Simon on a rendez-vous au Spritz à 21h. Cette fois je vais essayer de me calmer sur l'alcool pour être sûre d'aller en cours le lendemain.

Nous entrons, puis nous nous asseyons automatiquement à notre table habituelle au fond de la salle, derrière le bar. Nathan est de service aujourd'hui, c'est pour cela que nous venons le mardi soir.

Les employés ont l'air débordés ce soir car personne ne vient nous servir. Pendant ce temps, Simon essaye de me faire des signaux avec les yeux. Peut-être qu'il essaye de m'encourager à lancer une discussion avec Agathe à propos de Madame Johnson.

Au bout d'un moment il perd patience de mon incompréhension et prend les choses en main :

- Aggi, tu veux pas aller voir directement au bar si on peut commander ? lance Simon.

- C'est toujours à moi d'y aller, se plaint-elle, alors qu'elle s'exécute malgré elle.

Une fois qu'Agathe s'est suffisamment éloignée, je gronde Simon :

- Qu'est-ce qui te prend ? T'as une bête dans l'oeil ou quoi ?

- Pire.

- Comment ça pire ? demandé-je.

- J'ai ton joujou sexuel en plein dans mon champs de vision, répond-il alors que je tourne immédiatement la tête en direction de la salle.

Madame Johnson est là. Mais elle n'est pas seule. Monsieur Stevens lui tient compagnie. Je ne peux pas croire que ces deux-là soient amis, ou pire, en flirt.

Après la nuit qu'on a passée vendredi soir où je lui ai offert le meilleur orgasme de sa vie, j'ai du mal à croire qu'elle cherche déjà à fréquenter quelqu'un d'autre.

C'est donc pour ça qu'elle m'évitait. Mais Monsieur Stevens me déçoit... Il mérite mieux que cette garce. Puis, elle est bien trop jeune pour lui.

- Où tu vas ? m'interroge Simon en me voyant me lever.

- Montrer à cette grognasse ce qu'elle perd, répliqué-je.

J'entends la voix de Simon dans mon dos qui essaye de me retenir, mais ce soir je préfère écouter le petit diable plutôt que l'ange. Je passe devant la table de mes professeurs en faisant mine d'aller au petit coin.

- Oh monsieur Stevens ! Bonsoir ! Quelle bonne surprise, m'exclamé-je.

Je prétends ne pas voir Madame Johnson et accorde toute mon attention à mon professeur de mathématiques.

- Kiara ! J'ignorais que tu fréquentais ce genre d'endroit. Fais attention à toi tu es encore jeune, me conseille-t-il.

- Ne vous inquiétez pas Monsieur Stevens, je ne suis pas venue seule. Et puis, c'est ma récompense pour avoir eu la moyenne en maths !

- Je ne vous mettrai plus de note à deux chiffres si c'est votre excuse pour sortir boire un verre, plaisante-t-il.

Je ris, tentant de rendre jalouse au maximum ma professeur d'anglais.

- Je ne vous dérange pas plus longtemps, bonne soirée Monsieur Stevens. Miss Johnson, la salué-je au moins par respect avant de partir.

La pétasse ! Je n'avais même pas remarqué, mais elle boit un Spritz ! Elle se moque de moi ! La dernière fois qu'elle en a goûté un, elle m'a dit qu'elle trouvait cela imbuvable.

Je marche jusqu'aux toilettes. La porte se referme, puis j'attends quelques instant avant de repartir, pour que mon « besoin d'uriner » soit plus crédible.

Je m'apprête à rejoindre ma table, alors que la porte s'ouvre avant même que je n'aie pu toucher la poignée. Madame Johnson entre. Je m'écarte et la laisse passer. Elle n'est pas là pour pisser puisqu'elle n'entre dans aucune cabine.

- Vous venez complètement de m'ignorer ou je rêve ? s'agace-t-elle.

- Oh, comme vous depuis samedi matin vous voulez dire ? Je suis désolée d'avoir dit à ma mère que vous aviez un sale caractère, mais depuis la rentrée vous êtes horrible avec moi.

          - C'est vrai que je vous évitais, mais ce n'est pas à cause de ça...

          - C'est parce que je vous ai touchée ?

          - Kiara, j'ai enfreint la loi... plusieurs lois même. Je veux éviter que cela se reproduise étant donné que vous êtes mon élève.

          - Donc vous trouvez ça mieux de flirter avec un collègue ?

          - Kiara...

          Je la contourne et me redirige vers la porte.

          - Non, laissez tomber. Allez plutôt vous faire ligoter par Monsieur Stevens.

          Beurk ! Cette image ne veut pas quitter mon esprit. Je rejoins mes copains qui ont commandé trois Spritz. Je m'assoie et m'enfile mon verre le plus vite possible.

          - J'ai vu Nathan ! dit Agathe. Il avait l'air content de savoir que tu étais là.

          - Et pourquoi il viendrait pas se joindre à nous ? réponds-je.

          Agathe fait signe à Nathan de venir s'assoir avec nous. Il se pose à côté de moi et nous commençons à discuter. Si Atlanta veut jouer, on va jouer. Ce sera qui de nous deux est la plus jalouse.

Je sais qu'elle nous regarde. Je sais qu'à chaque fois que je rie, elle j'attire son attention. Je la vois se lever et partir avec Monsieur Stevens, alors même que leurs verres sont encore à moitié pleins.

Vendredi, elle va se venger c'est certain.