Chapitre 44

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La voiture s'arrête devant la porte, heureusement, tout le monde est déjà rentré. Je sors à toute vitesse de la voiture, et je me dirige vers la chambre. Il m'appelle à plusieurs reprises, mais j'ai besoin d'être seule. Je ne comprends pas son comportement, il organise ses fiançailles, mais me tourne autour. Je n'aimerais pas être sa fiancée, le savoir auprès d'une autre, serait la pire des trahisons. Il continue de me poursuivre et me rattrape.

— Parle-moi, Inès.

— Tu es un putain de connard !

— D'accord, si ça peut te soulager !

— Je te déteste. Tu sais ce que ça fait de perdre le soutien de celui qu'on estime ?

— Oui, Inès, je le sais plus que quiconque.

— Alors, tu dois comprendre que je ne veux plus avoir affaire à toi.

Je claque la porte au nez et je m'adosse à la porte. J'entends ses pas s'éloigner. Je m'effondre au sol, c'est un peu trop pour une soirée. Mon passé se révèle à moi dès que je tente d'aller de l'avant. Je m'allonge sur le lit, mes larmes redoublent, mes pleurs silencieux ont laissé place à de forts sanglots bruyants. Je n'arrive pas à reprendre le contrôle de mon corps. Tout ce que je gardais en moi depuis des mois, s'évacue peu à peu. La porte s'ouvre, je n'ai pas la force de me redresser. J'entends la porte se refermer et des pas approcher du lit. Le lit s'affaisse, je sens des caresses, ses mains, je pourrais les reconnaître les yeux fermés.

— Va t'en, Amir.

— Tiens, bois ça.
Je jette un œil, je me redresse, il tient une tasse fumante.

— Une camomille.
Je souris et renifle en même temps.

Il s'est changé et a revêtu un pyjama. C'est bien la première fois que je le vois dans cet accoutrement. Il est toujours tiré à quatre épingles ou tout nu pendant nos ébats.
Je me saisis de la tasse fumante et en avale quelques gorgées. Il dégage une mèche de mon visage. Je ferme les yeux pour en apprécier la sensation.

— Tu vas me dire ce qui se passe ?

— Tout va de travers. J'aimerais juste tourner la page, et avancer.

— Je trouve que tu t'en sors très bien.

— Pour quelqu'un de fauché ?

— Non pour une femme qui repart de zéro.

Je pose la tasse fumante sur la table de chevet. Je remonte l'oreiller et je me redresse pour avoir une position assise. Je fixe le vide pendant quelques secondes, pour m'apporter la force de continuer à m'ouvrir. Amir n'est pas la personne à laquelle j'aurais pensé, mais à problème urgent, solution incohérente.

— J'avais 16 ans, je vivais chez mes parents, je fréquentais un collège et une école de danse depuis mon plus jeune âge. J'avais pour habitude de passer devant un arbre centenaire avant de rentrer à la maison. Mais un jour, un chat était coincé sur une des branches. Et j'ai voulu faire le bon samaritain et le sauver. Je suis donc montée sur l'arbre. Arrivé là-haut, j'ai pris peur.

— Le vertige ?

— Oui. J'y suis restée de longues heures, jusqu'à ce que mon père vienne à ma recherche. Il m'a retrouvé là. Il a voulu me sauver. Mais en arrivant là-haut de la branche à céder, nous sommes tous trois tombés. Sauf que le chat n'a rien eu, il a déguerpi.
Je ris.

— Quelle ironie ! Ma jambe a été fracturée à plusieurs endroits et pour mon père, c'est son dos qui a souffert. Il n'a plus jamais travaillé et moi dansé. Mon père s'est endetté pour me payer les opérations, pour sauver ma jambe. À 17 ans, notre quotidien était misérable. Alors, je leur ai fait croire que j'avais une offre d'emploi à New York. Ils s'y sont opposés, mais j'ai su les convaincre.

— Je trouve ça formidable, ce que tu as fait pour eux. Encaisse ce foutu chèque et liquide tes dettes.

— Non, Amir, je ne veux pas de cet argent.

Il se relève, énervé et se dirige vers la fenêtre. Il observe la nuit noire baigner d'étoiles étincelantes. Et ce calme, si paisible, est tout bonnement apaisant. Il reste quelques minutes dans la chambre, et me laisse me reposer. Savoir qu'il connaît une partie de mon histoire est une façon d'extérioriser mes démons, une thérapie pour aller de l'avant.
Je ressors les croquis, je me consacre à ce travail pour tenter d'oublier cette soirée. Une fois le premier jet terminé, je l'envoie à Roberto. J'éteins l'ordinateur et je m'allonge, le cœur lourd, mais allégé d'un poids.

Le matin, je suis réveillée par un boucan. Je me redresse et je regarde par la fenêtre. Des hommes et des femmes installent des tables dans le jardin. Je rejoins la salle de bains, pour me doucher et me préparer. En sortant, je vérifie mes e-mails, Roberto a bien reçu mes croquis, il se penche sur la robe. Je me dirige vers la salle de déjeuner, pour une fois, je ne suis pas seule. Je franchis la porte, j'interromps leur conversation.
Amir se lève énervé, il regarde en direction de ses sœurs et me bouscule en sortant de la pièce. Dans ce genre de situation, on n'a qu'une envie, c'est de fuir ce malaise. Mais la mère d'Amir insiste pour que je m'installe. Je me sers au buffet timidement, il y a un silence si pesant, que je peux entendre le gamin croquer ses céréales.
Je m'installe, je porte une bouchée à ma bouche.

— Inès.
C'est Amir qui refait irruption dans la salle.

— Oui ?

— Quand tu auras fini, je voudrais te voir en privé.

— Bien.

Michto malgré moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant