Chapitre 9

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Je le regarde avec haine. Je l'interpelle, il m'envoie en classe économique.

— Est-ce que j'ai bien entendu ?

— Oui, étant donné que tu vas payer ton propre billet ! Je ne pense pas que tu as les moyens d'une classe première.

— Ouh, là, c'est trop, je vais faire une crise de nerf ! C'est toi qui me trimballes partout et je dois aussi payer ? Il me faut de l'air.

— Détends-toi ! Tu vas apprendre à payer les choses par toi-même !

— Me calmer ?

Je me tourne vers l'hôtesse et je sors ma carte bleue pour régler ce billet de malheur. Je pense à la récompense : je serais libérée de cette épée de Damoclès dans trois mois. J'inspire et expire pour tenter de calmer mes nerfs. Une fois payé, je pleure intérieurement.
Je ne l'attends pas, je regarde la destination, Las Vegas, la ville de la démesure. Je l'entends m'interpeller, mais la gamine en moi s'éveille et je me mets à courir. Je l'entends m'appeler, mais je l'ignore. Je passe le Sas de la douane, il me rattrape, mais nos chemins se séparent, il se dirige au salon VIP, pendant que je rejoins les sièges de la salle d'embarquement. On embarque dans deux heures.
J'en profite pour faire du lèche-vitrine dans une boutique de luxe. Je flâne, les vendeuses savent que je ne suis pas acheteuse, j'étais de l'autre côté il y a encore trois jours. Un homme d'un certain âge, un poisson moyen, entre et pose les yeux sur moi. Je maintiens le regard, c'est ma technique, faire l'ingénu, la naïve. Il s'approche de plus en plus jusqu'à être à ma hauteur, il sourit. Je n'avais jamais attrapé un poisson de cet âge, il y a une première à tout.

— Ce sac vous irait à merveille.

— Que vous êtes flatteur.

— Une aussi jolie fleur mérite les plus belles merveilles.

Allez dire ça au prince saoudien qui m'a lâchement abandonné avec les gens fauchés. Même si, par principe, je le suis. Ma réflexion s'allonge.

— Vous me semblez bien soucieuse.

— Je me demandais ce que fait un gentleman seul dans ce magasin ?

— Je cherchais un cadeau pour une amie.

Une amie, dans mon genre, j'ai tant entendu cette phrase.

— Elle en a de la chance.

— Si nous sommes amis, je pourrais peut-être vous faire plaisir.

Mes yeux s'illuminent, je repère la paire de chaussures d'une grande marque française.

— Ça aurait été avec plaisir, mais je dois prendre un avion.

— Laissez-moi vous inviter à boire quelque chose.

Quarante minutes plus tard, je ressors de la boutique de luxe avec ma jolie paire de chaussures, qui ne m'a pas coûté un dollar, seulement un peu de ma dignité. J'ai dû ouvrir le chemisier pour impressionner ce sexagénaire en manque de sensation forte. Un sourire par-ci, une phrase mielleuse par là, il est tombé dans mes filets.

C'est l'heure d'embarquer, je donne ma carte à l'hôtesse, je me tourne pour voir si le prince diabolique est dans la même file que moi. Mais les classes premières embarquent par une autre porte.
Je m'assois à ma place attitrée, à côté d'un adolescent qui semble ravi de ma présence. Les hormones en ébullition, il s'occupe de ranger mon sac de ma nouvelle paire de chaussures. Je le gratifie d'un sourire, il rougit.
Trente-minutes après le décollage, je suis en pleine discussion avec le jeune homme, qui est très sympathique.

— Désolé, jeune homme, mais tu n'as pas le porte-monnaie bien garni et la calvitie pour qu'elle s'intéresse à toi.

Je tourne ma tête sur le principe diabolique et j'émets un faux rire.

— Venant d'un milliardaire radin, ça ne me fait ni chaud ni froid.

— Très belle paire de chaussures, on pourrait t'envoyer en Amazonie, tu reviendrais les mains pleines de sacs !

— Le talent.
Je hoche les épaules.

— La déchéance !
Je défais ma ceinture.

— Alors le minable ! Ne viens pas perturber ces heures loin de toi. Retourne bien gentiment dans ta classe pour les riches sans valeurs !

— C'est dommage, je venais te proposer de changer de siège. Mais vu que la classe économique est pour les gens avec des valeurs, restes-y !

Bah voilà, ma grande gueule a encore frappé. Mon père m'avait prévenu que je risquais de perdre gros avec ma franchise. Je me rassois, je souffle fort.

— C'est votre petit copain ?

— Seulement pour trois mois.

— C'est drôle ça.

Michto malgré moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant