Chapitre vingt-trois

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- Seul ? Demandai-je.

- Seul comme un rat mort ! Jura de désespoir Charlie.

La saint-valentin était arrivé, amenant avec lui son lot de surprises et de mésaventures. Particulièrement pour le jeune Coréen. Il avait tenté par je ne sais quel moyen d'inviter son voisin à boire un verre avec lui, à dix-sept heures trente lors de la journée des amoureux. Fiasco total d'après Charlie. Il n'a pas voulu m'en dire plus. L'expression "comme un rat mort" animait chacune de ses phrases depuis cette fameuse soirée.

- Et toi ? Comment s'est passée ta saint-valentin ? Me demanda-t-il.

J'esquissai une moue pensive. Comment ne pas énerver mon meilleur ami ? Je me jette à l'eau et croise les doigts pour qu'il ne me fasse pas une scène.

- Il se pourrait que j'ai fêté partiellement la saint-valentin... Seule.

Les épaules de mon ami s'affaissent soudainement comme si ces dernières portaient le poids du monde. Son front se plisse sous l'émotion. Il avait l'air plus vieux comme ça. J'eus envie de rapidement que cela n'étais pas réfléchi, une moue moqueuse apparue, mais disparue aussi vite quand Charlie se leva, le visage rougit.

- 바보 ! (imbécile !)

Charlie m'attrapa par les épaules, me secouant violemment. Ses phalanges agrippant mes épaulettes, maintenant mon corps tel un pantin. C'était prévisible de sa part. Depuis un peu plus d'une semaine, Charlie avait décidé par "je ne sais quelle mouche" de devenir mon cupidon à plein temps. Ironique quand on sait que cela fait maintenant quelques mois que je corresponds avec le dieu de l'amour en personne.

- Outch ! Méchant cupidon ! Vilain ! Dis-je en sifflant tel un chat que l'on aurait aspergé d'eau froide.

Le jeune homme lâcha mes frêles épaules et croisa les bras, il me toise de ses yeux bridés avec le même regard qu'il avait cru bon d'utiliser lors de notre première rencontre. Un regard dur m'analysa, attendant une énième excuse de ma part.

- Puis-je savoir pourquoi tu n'as pas été rejoindre ton fameux dieu ? J'attends des explications... Me questionna Charlie.

J'ai pris une brève respiration. Je déglutis difficilement, le stress empoignant ma gorge. Le bout de mes phalanges jouant les unes avec les autres. Je tente de rassembler au mieux mes souvenirs de l'avant-veille.

- Bon... Tu promets de ne pas m'interrompre comme à chaque fois ? M'assurai-je avant de raconter mon récit.

Flashback

Il y a de cela quelques jours, mon inconnu a été hospitalisé. Son état a été si bas que ce dernier a dû être emmené aux urgences, sous assistance respiratoire. Il était dix-huit quand Charlie m'a appelé. Il m'a téléphoné, sa voix tremblante, le souffle court et la diction tranchée. Je savais que je tenais à Éros, mais, quand j'ai reçu ce coup de téléphone, le monde a cessé de tourner le temps d'un instant. D'après Charlie, le dieu aux yeux clairs s'était senti mal, la respiration haletante, une crise de panique comme tant d'autres m'avait-il dit, comme pour se rassurer plus que moi. Il n'aura suffi que de quelques secondes pour que le jeune homme ne s'élance hors du bar, suivis de près par son meilleur ami. Malheureusement, Eros s'était déjà dérobé sous le poids de son corps et chuta sur le trottoir, tombant inconscient sur le tarmac. Ce n'était pas qu'une simple crise d'angoisse... Le malaise vagal étant foudroyant, seule la solitude accompagne l'homme aux cheveux de jais, hurlant et suppliant qu'on l'aide, en vain.

Suite à l'appel à l'aide de Charlie, je me suis mis en route vers le Roper mémorial. La sueur au front, je n'avais pas le temps de prendre le taxi. C'est en pyjama que j'arpenta les rues bordant mon immeuble, criant pour attirer l'attention d'un véhicule, mes bras ne faisant qu'un maigre effet. L'instant d'après, j'étais dans un Uber, mes bras tremblant, toujours en ligne avec Charlie. Une ambulance venait d'arriver près de la devanture du bar, plaçant Eros sur un brancard. La pâleur de ce dernier fut évoquée plus d'une fois par son ami. Par chance, les ambulanciers laissèrent Charlie monter à bord. Le trajet en voiture me parut durer des heures, lorsque le véhicule s'arrêta devant l'accès des urgences, je payai rapidement, ne prenant même pas la peine de récupérer ma monnaie et je me mis à courir vers le hall blanc cassé. Mes pas frappèrent violemment le sol, j'enjambai les escaliers me séparant de Charlie et lorsque je le vis, j'accélère et saute dans ses bras. La vue de mon ami, les yeux noyés sous les larmes, ses derniers creux me donnèrent la nausée.

- Où est-il, Charlie ? Demandai-je. Ma voix n'était qu'un chuchotement à peine audible, je sentais que ma voix risquait de se briser à n'importe quel moment.

- April, il...

Je ne sais pas si lorsqu'il ouvra la bouche, je pressentis quelque chose ou si mes nerfs étaient tout simplement à vif, mais, mes épaules s'affaissaient, ma voix se brisa et des larmes firent une course sur mes joues.

- Où est-il ?! Criai-je tremblante et regardant si Éros était assis sur l'une des nombreuses chaises présente dans la salle d'attente des urgences. Idée inutile vu que je ne sais pas à quoi il ressemble.

- April regarde moi. Il- Eros n'est pas dans la salle d'attente. Un médecin vient de la prendre en charge, ils-ils l'on mit sous assistance respiratoire, mais il va bien. Il me serra dans ses bras un peu plus fort et caressa le sommet de ma tête, veillant à ce que je ne parte pas arpenter un énième couloir dans l'espoir de trouver mon inconnu, assis dans un lit médicalisé, attendant que je vienne le retrouver. Un homme de plus d'une quarantaine d'années s'approcha, un parapluie et un livre très épais dans les mains, il fit un signe de main à Charlie, je me retournai et fis face à lui.

- Charlie ! J'ai fait aussi vite que j'ai pu... Comment va-t-il ? Demande le nouvel arrivant aux urgences.

- Hum... Il-Eros va bien ! Il a été pris en charge par un médecin dès son arrivée. Baragouine Charlie. Je suppose que cette personne n'est pas au courant de cet échange de photos. Dans un autre contexte, j'aurais souri, sûrement ris, malheureusement pas aujourd'hui. Pas ce soir, dans cette salle blanche aux allures stérile. L'homme se tourna vers moi et me tendit la main.

- Vous êtes ?

- April. Je suis une amie de... Dis-je, sachant en ne sachant pas comment appeler mon inconnu. Charlie m'attrapa comme pour me faire une étreinte, à défaut, il m'obstrue les oreilles et sembla brièvement préciser l'anonymat d'Eros. Je sens mon corps se tourner et faire de nouveau face-à-face à l'homme.

- Enchanté April. Je suis le père d'Eros.

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