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À un endroit du palais se trouvait une petite cour avec un jardin, entourée de passages couverts sur plusieurs niveaux. Les rayons venaient éclairer les nombreuses plantes d’un beau vert sombre, hauts fourrés et arbres au feuillage fourni, qui s’élevaient entre les pierres gris clair.
À l’un des étages, le soleil se déversait dans l’un des couloirs par la grande ouverture sur le côté, qui donnait sur les végétaux en contrebas. Deux silhouettes s’y avançaient, encore dans la partie dans l’ombre, elles allaient bientôt parvenir à la flaque de lumière. La plus petite était vêtue d’un long manteau blanc au col de fourrure noire, et celle qui l’accompagnait portait une tenue d’agent de couleur claire.
« J’aimerais que tu m’aide à éliminer quelqu’un, Lazuli, dit Colombine, et ce sera plus simple si c’est toi qui le conduis là où je veux.
- Je vous assisterai de mon mieux, bien sûr, répondit celle-ci avec déférence, cependant, si je puis me permettre, pourquoi pensez-vous que je sois la mieux placée pour remplir ce rôle ?
- Il s’agit d’un noble de la cour, lui dévoila l’Exécutrice avec un sourire espiègle, le Comte Aliev, et il a une inclination pour toi.
- Vraiment ? »
Lazuli s’arrêta de surprise, à la limite de la lumière, et Colombine se tourna vers elle, l’air amusé. Elle ressemblait à une enfant malicieuse, ravie de la plaisanterie qu’elle venait de faire.
« Oui, tu ne t’en es pas rendue compte, tu n’as d’yeux que pour ton Pantalone. »
Elle constata que l’autre jeune femme rougissait et poursuivit avec enjouement :
« Même si tu ne l’as pas remarqué, tu as attiré l’attention de plusieurs hommes à la cour. Tu as du succès, Lazuli. Et s’il ne se sont pas manifestés, c’est parce que même s’ils ne savent pas qui tu es pour Regrator, sa présence à tes côtés est suffisamment dissuasive. Alors si tu proposes une entrevue à ce Aliev, je suis sûre qu’il s’empressera d’accourir. Après, il te suffira juste de l’amener à l’endroit que je t’indiquerai. Dis, tu le ferais pour moi ? »
Embarrassée, Lazuli baissa le regard avant d’accepter :
« Oui, je vous aiderai. »




Elle avait revêtu une longue robe de velours bleu nuit, accordée à des joyaux en petits diamants. Elle se dirigeait vers l’un des jardins intérieurs, l’écho de ses pas légers se répercutant sous les arches d’un passage en pierre. Non loin devant s’ouvrait une porte qui donnait sur l’extérieur, elle pouvait y apercevoir les rayons du soleil qui cascadaient sur les multiples plantes aux fleurs épanouies. Elle releva le regard et pressa un peu le pas, avant de sortir à l’air libre. La lumière blanche l’entoura, tandis que le parfum des corolles colorées remplaçait celui de la neige qui hantait les couloirs du palais. Elle aimait beaucoup les parcs végétaux qui se trouvaient en divers endroits de la bâtisse, celui-ci était particulièrement appréciable l’après-midi. La majorité des bouquets qui y fleurissaient étaient dans des tons rose parme, relayés çà-et-là par des pétales immaculés.
Elle se rendit au point de rendez-vous qu’elle avait donné, près d’un bosquet aux feuilles vert profond. Elle était arrivée avant lui, elle s’occupa en admirant les floraisons couleur d’hiver qui agrémentaient les rameaux. Quelques instants plus tard, des pas sur le chemin l’avertirent de son arrivée. Elle se tourna vers lui et se composa un sourire pour le saluer.
« Comte Aliev, quel plaisir de vous voir !
- Il est également partagé, Lazuli. Je dois vous avouer mon étonnement quant à votre invitation, mais je ne pouvais pas ne pas y répondre favorablement.
- J'espère ne pas vous avoir fait interrompre votre emploi du temps.
- Mais non. Et puis l’occasion était si rare, je suis heureux d’être venu. »
Légèrement embarrassée, elle l’observa un instant. Ses cheveux clairs tiraient sur le gris, il avait les yeux bleus comme le givre, il devait être légèrement plus âgé qu’elle. Il paraissait honnête, et il la considérait avec un sourire amical. Le hasard avait voulu qu’il portât lui aussi des vêtements marine, d’une couleur proche de celle de la robe de la jeune femme.
L'air toujours franc, il reprit :
« Alors, pourquoi souhaitiez-vous me voir ?
- Oh, rien de particulier, nous avons déjà échangé quelques fois lors de réceptions à la cour, et je souhaitais simplement faire plus amplement votre connaissance. »
Il inclina la tête comme s’il réfléchissait un bref instant, puis s’approcha pour la rejoindre.
« Cette intention me convient tout à fait, et je la partage. Vous êtes si mystérieuse, et l’on ne sait presque rien de vous à la cour alors que vous y êtes depuis longtemps.
- Peut-être sait on peu de choses parce qu’il n’y a pas grand-chose à apprendre de moi. éluda-t-elle.
- Je ne suis pas de cet avis, et je gage qu’on a tout à gagner à vous connaître. »
Passant à côté d’elle, il alla cueillir une rose blanche dans le buisson et la lui montra.
« Pour moi, vous êtes pareille à cette fleur : familière et à la fois secrète.
- Je ne mérite pas tant d’éloges. rougit-elle.
- Ce n’était qu’un faible compliment. Mais je suis certain qu’en discutant davantage je trouverai lieu de vous en faire de plus appropriés à vos qualités.
- N'en faites rien, je vous prie, dit-elle avec un rire léger pour masquer sa gêne grandissante, après tout vous ne savez ce que vous ignorez de moi et vous pourriez trouver des détails propres à vous déplaire.
- C'est le fait de tout être humain que d’avoir des qualités et des défauts, répondit-il sur le ton de la plaisanterie, et pour ce qu’il en est des premières, je vois déjà que vous aimez faire de l’esprit autant que moi. »
Il s’avança vers elle et lui remit la rose, qu’elle prit. Un temps passa et il poursuivit :
« L’un des points qui m’intrigue le plus est vos liens avec Pantalone. Tout le monde sait que vous appartenez à son entourage, cependant personne n’est capable de dire exactement ce que vous représentez pour lui.
- Ma relation avec lui restera ignorée de tous, tout comme les échanges que j’ai avec les autres Exécuteurs. Vous pouvez voir que j’interagis avec eux, mais vous ne saurez rien de plus. Vraiment, Comte, vous ne pensiez tout de même pas que j’allais révéler ce genre d’information ? »
Elle n’avait pas employé d’air particulier en disant cela, mais avait ajouté à son ton une nuance légèrement amusée sur les derniers mots. Intérieurement ennuyée, elle pensa :
Par les Archons, s’il savait que je suis là en ce moment.
Arborant un sourire, elle poursuivit la discussion :
« Que diriez-vous de marcher un peu pour continuer à parler ?
- Je n’y vois pas d’inconvénient. Ainsi, nous profiterons de la beauté du jardin. »
Tous deux commencèrent à avancer côte à côte entre les élégants arrangements végétaux et se mirent à deviser de récents événements à la cour et de leurs lectures. À son étonnement, Lazuli profitait de cette conversation, elle avait plaisir à partager ses auteurs préférés et à en découvrir de nouveaux, elle en oubliait presque son objectif premier.
Voyant qu’elle arrivait à la petite place au dallage de marbre poli, elle prit un air aimable et demanda :
« Permettez-moi de m’éloigner quelques instants. »
Intrigué, son interlocuteur acquiesça tout de même et s’arrêta sur le sol de pierre. Elle s’avança en lui tournant le dos sous les arcades qui se trouvaient sur le côté et marcha jusqu’à être hors de sa vue. Elle s’arrêta et attendit, aux aguets pour écouter ce qui allait se passer. Un temps s’écoula, puis un bruit indistinct se fit entendre suivi du son caractéristique du sang. Elle baissa la tête et son cœur se serra, elle ressentait un peu de culpabilité. Sa présence n’était plus requise ici, elle laissa tomber la rose et s’en alla.

Lazuli - Cycle deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant