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L'Impératrice s’était rendue dans l’un des grands parloirs du palais avec certaines de ses suivantes et dames de cour. Tandis qu’elle avait pris place vers le fond avec ses plus proches demoiselles de compagnie les autres s’étaient installées en petits groupes ou seules à divers endroits de la salle toute en longueur pour discuter, jouer, ou continuer leurs ouvrages ensemble. Lazuli s’était isolée sur une banquette derrière un pilier, elle s’occupait avec une broderie dans un cerceau qu’elle avait commencée. Les fils s’entremêlaient, bleus sombres et clairs, sans difficultés et avec régularité à mesure que le temps passait. De temps en temps, elle jetait un regard vers la salle et les petites assemblées. Tout était tranquille, les suivantes faisaient la conversation paisiblement et avec bonne humeur, les pièces de couture se nouaient et les pages de livres se tournaient, rien ne venait troubler les minutes qui s’écoulaient. Elle se demandait si les journées en présence de la Tsarine étaient toujours aussi sereines, et découvrait le quotidien des jeunes filles de la cours. Il y a peu, elle avait eu le même âge qu’elles, et si elle partageait des passe-temps semblables le reste de ses activités différait entièrement. Elle aurait aimé leur poser des questions sur le fil de leurs jours, et savoir si elles se plaisaient dans ces occupations uniformes et apaisées.
Alors qu’elle se faisait ces réflexions l’une des demoiselles s’avança depuis l’entrée jusqu’au milieu de la salle et annonça :
« Un noble désire s’entretenir avec Sa Majesté, il s’agit du Duc Saqar. »
Comme une dame plus âgée non loin de l’Impératrice lui fit un signe négatif, elle s’en retourna, mais revint quelques instants après et déclara :
« Il assure que c’est urgent, et que c’est une affaire qui ne peut souffrir aucun report. »
Lazuli posa son ouvrage, à la fois attentive et stupéfaite. L'entourage présent avait été prévenu qui si quelqu’un cherchait à voir la Tsarine pendant l’événement qui avait lieu à l’extérieur, il fallait le refuser, cependant elle ne s’était pas attendue à cela. Si auparavant elle ne connaissait pas l’identité de celui qui pourrait essayer de s’approcher d’elle, elle avait découvert au fil de ses recherches que le Duc Saqar avait des liens avec les Tisserands, et était susceptible d’être l’individu en question. Mais se présenter ainsi, sans tenter la moindre dissimulation, c’était inconcevable. On disait que la meilleure des stratégies était de n’en avoir aucune, et cela pouvait se vérifier. Elle allait devoir modifier un peu ses plans.
Sans se précipiter, elle se leva, et après une petite révérence en direction du trône impérial elle se détourna pour rejoindre la porte de la salle. Une fois celle-ci franchie et refermée, elle releva son regard vers l’homme qui se trouvait là. Il n’y avait pas de gardes de ce côté du seuil, pour signifier aux visiteurs que la Tsarine passait du temps avec ses demoiselles de compagnie, ils étaient seuls dans le vaste couloir.
« Ah, enfin, on se décide à m’envoyer quelqu’un d’autre. »
La jeune femme l’observa plus attentivement. Les cheveux bruns et les yeux plus foncés encore, il avait l’air volontaire et était vêtu de couleurs sombres. Arborant une expression polie, elle répondit :
« Cependant je dois vous informer que votre requête ne saurait aboutir.
- Pourtant il s’agit d’un sujet de la première importance, qui ne peut prendre aucun retard.
- Et quel est-il, si je puis vous le demander ?
- Cela, je ne peux le dire...
- Qu’à l’Impératrice en personne. compléta-t-elle. Je regrette, mais je me vois obligée de refuser. »
À son tour, il la fixa un bref instant avant de constater :
« Mais tu es celle qui est avec Pantalone.
- En effet, et qu’est-ce que cela peut vous faire ?
- Tu es donc pire encore que la Tsarine. dit-il d’un ton plus sourd.
- Ne parlez pas ainsi de notre souveraine !
- Elle n’est pas une souveraine, seulement un pantin qui n’est pas à l’écoute de son peuple. Ce sont les Exécuteurs qui l’ont placée là, et qui gèrent tout dans ce pays depuis l’ombre. Ils ont même envoyé une suivante pour la surveiller. »
Le mépris avec lequel il avait prononcé ce mot aurait eu de quoi offenser n’importe qui, mais il n’atteignit pas Lazuli. Peu lui importait les propos que l’on tenait sur elle, tant qu’elle servait Regrator.
« Je ne vous permets pas de parler ainsi d’eux. se borna-t-elle à répondre. Et je trouve que vous avez bien de l’audace de venir avec vos obscurs desseins de la sorte et de prononcer de telles paroles devant la porte de notre Impératrice.
- Sur ce point, je ne me fais pas de souci, elle ne risque pas de nous entendre. Et je constate que vous ne vous défendez pas vous-même, répliqua-t-il, c’est le signe que vous avez un faible caractère, ce pourquoi ils vous ont simplement confié cette mission. »
Excédée, la jeune femme inspira et lissa sa robe du dos de la main. Elle proposa avec une amabilité visiblement feinte :
« Puisque les masques sont tombés, que diriez-vous d’aller marcher pour poursuivre la discussion ? Vous ne voudriez pas provoquer un esclandre qui ferait obstacle à vos projets futurs.
- Vous projetez de m’occuper le temps que des renforts arrivent. Mais, c’est d’accord, je ne crains pas ce que vous pouvez faire venir, et je suis certain de le défaire. Allons-y, alors. »
Ils commencèrent à cheminer le long d’un passage sur le côté et elle poursuivit :
« Très sérieusement, Duc, que projetiez-vous en approchant la Tsarine ?
- L’assassiner. » répondit-il simplement.
Elle fut si stupéfaite qu’elle faillit s’arrêter. Conservant son expression neutre, elle remarqua :
« Vous ne manquez pas d’assurance d’imaginer vous mesurer avec une déesse.
- Que peuvent les pouvoirs d’un Archon contre l’effet de surprise ? Et ce n’est pas comme si vous y connaissiez quelque chose en combat. »
À la limite de son champ de vision, elle vit que tout en parlant il avait commencé à sortir une arme cachée. Elle para son poignard de sa dague avant même qu’il ne l’ait tourné vers elle, et, en quelques mouvements, inversa les rôles ; désormais, c’était elle qui le menaçait tandis qu’il bloquait sa lame. L'air surpris, il lui fallut un instant pour se reprendre.
« Je dois reconnaître que j’ai peut-être sous-estimé votre personnalité.
- N’allez pas croire que parce que je suis une femme je ne sais pas me battre. » dit-elle seulement.
Le regard sombre, elle attaqua de nouveau, et après un enchaînement agile lui porta un coup fatal. Elle voulait l’achever vite. Quand il s’effondra une effusion de sang jaillit sur la jupe sombre qu’elle portait, presque invisible. Sans y prêter davantage attention, elle se détourna et s’en alla. Elle n’avait pas besoin de se présenter à nouveau devant l’Impératrice, la garde avait été renforcée, elle n’ait qu’à rentrer et attendre de rendre compte de sa mission.

Lazuli - Cycle deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant