20

9 1 0
                                    

Une ambiance grave et affairée régnait. Dans la vaste salle, tous les groupes d'hommes politiques s'assemblaient et discutaient avec agitation, le brouhaha des conversations exprimait tous les désaccords et les opinions échangées, et laissait s'élever les arguments en diverses exclamations. Une session extraordinaire du Congrès avait été convoquée, les partis au grand complet étaient venus pour y participer, et escomptaient faire progresser leurs projets. L'instigation venait des Conservateurs, qui s'inquiétaient des prises de liberté dans le programme du gouvernement, et réclamaient un plus grand contrôle des partis, à quoi les Tisserands avaient immédiatement répondu qu'il était nécessaire d'aller dans la direction opposée. Presque tous les Exécuteurs étaient présents, à l'exception de Tartaglia et Capitano en mission à l'étranger, et de Pierro qui était en réunion avec la Tsarine pour parler de la récente gestion politique intérieure.
À l'étage, le Dottore avait rejoint Pantalone pour observer les négociations, tandis que Lazuli se tenait un peu en retrait.
« Ils ne savent plus quoi inventer. » commenta le scientifique.
Après un regard vaguement amusé en contrebas, il ajouta pour son collègue :
« Tu penses qu'ils espèrent vraiment faire changer les choses ? Ça m'étonnera toujours qu'ils continuent de se rassembler ici en entendant infléchir le cours des affaires.
- Il faut les laisser ambitionner, répondit son ami avec un léger ennui, cela permet de les tenir occupés. Certains ne s'en lasseront jamais. Et après, ils trouveront un autre sujet auquel attacher de l'importance. »
Le Deuxième Exécuteur acquiesça avec un petit hochement de tête, puis se tourna vers la jeune femme :
« Tu accompagnes ton Maître cette fois, d'ailleurs, Lazuli ?
- Oui, expliqua-t-elle simplement, comme il s'agit d'une occasion importante cela permet de renforcer l'image. »
Elle ne savait pas de quelle humeur il était aujourd'hui et n'était elle-même pas dans des dispositions particulières, aussi ne s'était-elle pas étendue. Ne pas pouvoir savoir à quoi s'attendre de sa part la fatiguait généralement, mais pour le moment leur entente était égale, et cela l'arrangeait. Il l'avait laissée tranquille depuis la dernière fois, et peut-être que la présence de Regrator en ce moment avec eux aidait à le tenir tranquille. Le Dottore la considéra un bref instant, la tête légèrement inclinée sur le côté, avant de demander :
« Tu ne crains pas qu'on te reconnaisse ?
- Si vous faites référence au fait que je ne porte pas de masque, cela ne pose aucun problème. Je n'ai qu'une tenue d'agent ordinaire, aujourd'hui, et on m'a déjà aperçue ainsi. Quand je suis dans mon rôle d'Usurier Blanc, je prends toujours soin de dissimuler mes traits, sauf parfois quand je me rends dans les quartiers réservés aux Fatui, mais ce n'est pas nécessaire. Je n'ai pas besoin d'avoir un masque en permanence, Dottore, contrairement à vous. Mon identité reste secrète pour les autres.
- Ils te voient tantôt en agent, tantôt en demoiselle de Cour, s'amusa l'Exécuteur et ils se demandent qui tu es. Ils savent seulement que tu accompagnes Pantalone, et ignorent celle que tu es pour lui.
- Dame de Cour, corrigea-t-elle, il y a des années que je ne suis plus la jeune fille que j'étais.
- Pas autant que tu veux le croire, dit-il avec raison, et tu as conservé toute ton innocence.
- Innocente, je ne le suis plus depuis longtemps...
- Crois-moi, si tu savais les expériences que je mène... »
À la surprise de la jeune femme, ils échangèrent un sourire de connivence. Elle demeura songeuse tandis qu'il la regardait avec un air amical qui semblait sincère. À ce moment, son maître lui fit signe d'approcher. Elle le rejoignit près de la balustrade et resta debout près de lui. Il lui désigna un politicien dans le camp des Tisserands, sur leur gauche, qui était en train de prendre la parole pour défendre son point de vue. D'apparence plutôt jeune, il avait des cheveux aux reflets fauves et un éclat déterminé brillait dans son regard.
« Tu vois ce représentant ? Il s'agit de Milost Seikhai, l'un des membres les plus actifs de sa faction. Ces temps-ci, par ses succès, il a beaucoup étendu l'influence des Tisserands. Il représente donc une certaine menace, d'autant qu'il est habile à communiquer avec ceux des groupes opposants pour les faire changer d'avis et les rallier à sa cause. J'aimerais que tu l'assassines, à l'occasion. »
Lazuli hocha la tête en silence, impressionnée qu'il lui ordonne d'apporter la mort à cet homme alors qu'il se trouvait à peine quelques mètres plus bas. Celui-ci terminait son argumentaire, après avoir plaidé pour plus de liberté dans les affaires politiques.
« Voilà pourquoi, au lieu de restreindre nos actions, je propose de faire passer une loi autorisant la création de plus de partis. »
Satisfait, il laissa son camp marquer son approbation avant de se rassoir. Un membre des Conservateurs se leva en face et parla à son tour :
« Une telle idée représente un danger et ne pourrait provoquer que de l'agitation, au vu de la situation de notre pays. Les échanges avec les autres nations s'intensifient, et intérieurement les différents domaines sont en plein développement, il est nécessaire de présenter un visage unifié qui renforcera notre position. Ce n'est pas le moment de se fractionner en de multiples groupes, il faudrait au contraire accroître le contrôle sur les actions de chacun, et veiller à ce que toutes les décisions concourent à l'intérêt de l'État afin de prévenir tout dessein séditieux. »
Tandis qu'il continuait son discours, Pantalone montra un autre homme politique, du côté droit cette fois, un peu en retrait en diagonale de celui qui s'exprimait.
« J'imagine que tu as reconnu le Duc Eylhan, même si tu l'as peu vu. Il s'agit d'un de nos plus puissants soutiens. On le soupçonne d'avoir eu depuis récemment des liens avec les Tisserands, ce qui s'avèrerait dangereux pour nous. Il aurait été contacté par Milost, je voudrais que tu le vérifies et viennes me faire un rapport pour que je sache de quoi il en retourne. Une fois que tu auras confirmé la situation, tu pourras aller éliminer son interlocuteur. Pas besoin de faire entrer l'Usurier Blanc en jeu.
- Entendu.
- Honnêtement, j'aimerais qu'il n'en soit rien, poursuivit-il, il a de nombreux appuis et nous a aidés à étendre notre emprise au sein du Congrès plusieurs fois. »
La jeune femme posa son regard sur lui, étonnée. Il n'était pas dans ses habitudes de révéler ses pensées, pour qu'il confie ce qu'il ressentait, il devait être fatigué. En effet, il paraissait las, elle aurait aimé le remarquer plus tôt. Peut-être que le travail l'avait particulièrement occupé, ces derniers temps, et il ne lui en avait rien dit. S'il n'y avait pas eu tous ces gens autour, elle lui aurait pris la main, mais on risquait de la remarquer. Au lieu de cela, elle déposa discrètement une petite pièce d'or côté pile sur la rambarde. Il la vit et esquissa un sourire, puis fit mine de rien et continua à suivre le débat. Le Dottore, qui était à côté, s'en aperçut aussi et eut un ait amusé. C'était leur langage à eux deux, et il ne le comprenait pas, mais il savait qu'il existait et il les avait déjà vus l'utiliser plusieurs fois. Pour éviter d'attirer l'attention, Lazuli reporta son regard sur les loges à l'étage d'en face. Depuis l'autre côté, Colombine lui adressa un petit signe de la main, auquel elle répondit après une hésitation par un sourire incertain. Sandrone aussi la salua et elle lui répondit de même, le tout sous le regard circonspect de Scaramouche.
Les discussions continuèrent pendant de longues heures, jusqu'à la clôture de l'assemblée. La foule en bas se déversa à l'extérieur, tandis que les Exécuteurs quittaient leurs loges. Il Dottore et Regrator sortirent accompagnés de Lazuli. Alors qu'elle les suivait dans un grand couloir clair, une voix l'appela :
« Lazuli ! »
Intriguée, elle s'arrêta et laissa s'éloigner les deux amis qui discutaient. Scaramouche la rejoignit et s'arrêta devant elle, marquant un temps avant de prendre la parole. Il avait son habituel air sombre, mais elle croyait le deviner légèrement hésitant aussi. Finalement il se décida et lui tendit un ouvrage :
« Tiens, Pantalone m'a demandé de te le rapporter. C'est un guide d'Inazuma, avec des informations sur ses différentes régions associées à des illustrations. C'est pour que tu puisses découvrir en attendant d'y aller.
- Oh, merci. »
La jeune femme ne savait pas comment réagir, c'était un événement assez inattendu, et celui qui lui faisait ce don l'était encore plus. Il arborait toujours son air défiant, et ne semblait pas attendre d'elle une quelconque réaction. Toujours à contrecœur, il lui donna un deuxième livre qu'il avait apporté.
« Sandrone m'a aussi demandé de te transmettre ça, elle l'a retrouvé dans ses affaires. C'est un volume sur Liyue, cette fois.
- Je suis touchée, remerciez-la bien de ma part ! »
Lazuli avait réussi à se reprendre et sourit. Il parut ne pas trouver quelle attitude adopter et se contenta de répondre :
« Je lui dirai. »
Sur ce, il se détourna et s'en alla dans la direction opposée. Elle le regarda s'éloigner, ses deux livres contre elle, encore déconcertée par cette rencontre.

Lazuli - Cycle deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant