Serendipity . P.JM.

I

꩜

Mon regard se pose sur la figurine de chat posée sur le bureau. En plastique orange, elle est assez moche et mal faite, avec une expression souriante grotesque sur le visage. Un achat compulsif, sûrement. Ou peut-être un cadeau des enfants présents sur la photo derrière lui? Aucune idée, mais c'est de mauvais goût.

- Jimin, vous m'écoutez?

Je tourne enfin mon regard vers lui. Il me regarde, ses yeux encadrés par des lunettes fines et rondes, un calepin à la main et une expression préoccupée. Je l'avais presque oublié.

- Non. Je réponds honnêtement.

Il grimace, insatisfait de ma réponse. Il tourne la tête vers mon manager, Sejin, qui me regarde également, debout, adossé à un mur, les bras croisés, la même expression préoccupée sur le visage. Je ne quitte pas des yeux mon psychiatre, assis face à moi. Je m'enfonce un peu plus dans le fauteuil, joignant mes mains. Ma jambe sautille sans raison apparente. J'essaie tant bien que mal de m'accrocher à la conversation et à la réalité.

- Nous parlions de votre ressenti et de votre état actuel suite à l'incident. M'explique-t-il.

Comment s'appelle-t-il déjà? Kim? Byun? Aucune idée.

- Comment pensez-vous que je vais? Je demande en retour, ma voix tremblant plus que je ne le voudrais.

- À vous de me le dire. Dit-il doucement en me regardant.

Mes yeux fuient les siens, ne supportant plus d'être observé de la sorte. J'ai l'impression que tout le monde me regarde. Même si ce n'est que les deux personnes présentes en plus de moi, leurs regards me transpercent.
J'avais déjà vu un psychologue, c'est obligatoire quand on fait ce que je fais. Mais pas dans de telles circonstances. Et jamais un psychiatre. Quelle est la différence, en fait?

- Comme quelqu'un qui a subi des menaces durant des années. Qui a reçu des lettres, des mots, des messages sur les réseaux. Et qui s'est fait agresser chez lui en pleine nuit. Je réponds, fixant à nouveau ce chat moche sur son bureau.

- Et qu'est-ce qu'une personne comme ça ressent? Au fond d'elle. Demande-t-il à nouveau.

- J'en sais rien. Je réponds.

J'en ai marre de ses questions. Et j'en ai marre d'y répondre depuis deux jours. Non, je ne vais pas bien. Ça crève les yeux. Et ce n'est pas étonnant. Qui irait bien dans de telles circonstances? Peut-être s'attendent-ils à ce que j'encaisse, comme je le fais depuis toujours. Mais pas aujourd'hui. La goutte d'eau a fait exploser le vase. Et toutes les choses enfouies ont refait surface.
Ma jambe tremble un peu plus et mes doigts s'agitent.

- De la colère? De la peur? J'ajoute après un silence ininterrompu. De l'angoisse peut-être.

- C'est compréhensible après ce que vous avez vécu, tente-t-il de me rassurer, c'est totalement humain.

Mais en suis-je toujours un?

- Vous devez vous reposer et prendre soin de vous, afin de pouvoir reprendre vos activités. Poursuit-il.

Je le sais. De toute façon, c'est ce qui est prévu, non? Je ne vais pas pouvoir partir pour la tournée avec les autres jeudi. Et comme elle dure cinq mois, je vais au moins rester ici pendant ces cinq mois. Et ça m'énerve profondément. J'attendais cette tournée avec impatience et il a fallu que cet "incident", comme ils l'appellent, se produise. Mais je n'ai rien demandé, moi.

- Je peux faire cette tournée. Dis-je en tournant mon regard vers Sejin.

Il soupire, peiné, en se redressant du mur.

- Jimin, nous savons toi et moi que ce n'est pas possible, dit-il, tu n'es pas en état.

Je me tais. Effectivement, je me mens à moi-même. Ce n'est pas possible. Pour faire cette tournée, il faut être à 100%, et ce n'est clairement pas mon cas. Mon regard revient sur le chat sur le bureau. Pourquoi sourit-il comme ça? Il n'y a pas de quoi sourire.

- Qu'allez-vous faire pendant votre pause? Me demande le psychiatre.

- J'en sais rien. Je réponds simplement.

J'ai l'impression de m'enfoncer encore plus dans le fauteuil. La pièce et les deux hommes semblent se reculer. Et ce chat, lui, ne bouge pas. Il me regarde toujours avec ce sourire pénible. Est-ce qu'il se moque de moi?

- Nous lui avons proposé d'aller se reposer dans une maison dans les montagnes de Jeju. Dit Sejin, sa voix résonnant comme un écho. Elle appartient à un ami qui veut bien la prêter. Elle est à l'écart de tout et personne ne connaît cette adresse. Le petit village autour est très familial. Mon ami les préviendra et personne ne le dérangera. Et puis, c'est très joli là-bas. Explique-t-il.

- Ça me semble être une bonne idée. Qu'en penses-tu, Jimin?

À l'entente de mon nom, je tourne automatiquement les yeux vers lui, ma tête restant immobile. Je suis soudainement à nouveau sur ce fauteuil, et la pièce reprend ses proportions normales.

- Ai-je le choix? Je demande à mon tour.

- Jimin, c'est pour toi. Si tu ne veux pas, aucun problème. Nous te trouverons un appartement ici. Répond Sejin, toujours aussi préoccupé.

L'idée de me retrouver à nouveau seul dans la ville animée qu'est Séoul m'est insupportable. L'angoisse revient se loger en boule dans mon ventre et tord mes entrailles.

- Et chez tes parents? Demande le thérapeute.

- Hors de question que je les mette ainsi en danger. Rétorque-je directement.

- Il a raison. De plus, leurs visages sont connus et son père a même ouvert un café. Nous ne voulons pas que tout le monde débarque là-bas. Ajoute Sejin.

- Jeju me semble être une très bonne option alors. Sourit le thérapeute en me regardant. Nous savons tous les deux que tu angoisses à l'idée de te retrouver seul parmi tout ce monde. Alors vas-y, au moins quelques temps, juste pour voir.

Je le regarde du coin de l'œil. Bien sûr que j'angoisse, il ne m'apprend rien. Mais il a raison, l'air de la montagne et la tranquillité me seront peut-être utiles. De toute façon, je n'ai pas la force de contester actuellement. Je n'ai pas la force pour quoi que ce soit.

- D'accord. Je réponds finalement.

Un sourire apparaît sur son visage et celui de Sejin. Le mien reste neutre et inexpressif.