Chapitre 20

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28.12.2023

Jace.


Je serre la main de cet énième homme que je ne connais pas et le regarde rejoindre le parking, comme les autres. Mon oncle discute avec sa femme et sa petite sœur, le regard rivé vers ma petite sœur. Si j'ai l'impression d'être dans une vraie fourmilière depuis près d'une heure, c'est la seule personne qui n'a pas bougé durant tout ce temps. Assise à même le sol gazonneux, déneigé le matin même, la jupe de sa robe étalée autour d'elle, elle ressemble au sujet d'un tableau d'une beauté aveuglante et d'une tristesse accablante.

Elle est mon seul ancrage dans toute cette merde, et c'est elle qui est plus bas que terre. Et je ne suis même pas foutu de trouver les mots pour aller lui parler parce que c'est toujours elle qui parle et moi qui écoute, parce que je suis le gros bourrin, plus à l'aise avec une crosse dans la main ou avec mes poings qu'avec les mots, un livre, un stylo ou un cahier. C'est Lilibeth la sensible, la littéraire ; c'est celle qui a toujours su trouver les bons mots pour me rassurer.

Et moi, là, je suis complètement perdu...

— On va ramener ta mère à la maison, mon chéri.

Je tourne la tête vers tante Hericka qui pose sa tête sur mon épaule en serrant mon bras dans ses petites mains fraîches.

— Tu peux t'occuper de ta sœur ? Mais ne traînez pas. L'endroit grouillera bientôt de paparazzis, et pas forcément les plus tendres.

J'acquiesce et dépose un baiser sur le sommet de son crâne. Parfois, je me dis que tout aurait été plus simple si seulement elle avait pu être notre mère.

— Si tu as besoin d'aide, tu m'appelles, d'accord ? Ça va être dur pour elle.

Son regard se perd sur ma petite sœur qui n'a toujours pas bougé, assise avec la grâce d'une de ces demoiselles, sujets des peintures de son peintre français préféré, Claude Monet. Le contact de ma tante cesse et je la sens s'éloigner de moi tout doucement. Ses pas résonnent sur le chemin, mélange de neige et de graviers, menant vers les grandes grilles noires habituellement fermées à clé aussi tôt le matin.

Bientôt, tout le monde a quitté cet endroit triste et lugubre. Ne restent plus que Lilibeth et moi. Elle, qui n'a toujours pas bougé, assise à même le sol. Et moi, qui réfléchis toujours à ce que je vais bien pouvoir lui dire quand on va devoir quitter cet endroit où je ne veux plus jamais remettre les pieds.

Je prends une grande inspiration et m'approche de ma jumelle. Son regard est rivé sur les inscriptions gravées dans le marbre blanc.


GREGORY LOCKWOOD

FRÈRE ET ÉPOUX BIEN-AIMÉ

PÈRE PARFAIT

27 novembre 1973 – 27 décembre 2023

« L'amour n'est pas inné, il s'apprend auprès des bonnes personnes. »


Je pose une main sur l'épaule de Lilibeth qui sursaute et tressaille à mon contact. Elle ne tourne même pas la tête vers moi, ne pouvant détacher son regard de la tombe de notre père et des mots qui y sont gravés.

— Beth. On devrait y aller.

Elle hoche négativement la tête, serrant contre elle la veste en jean de papa qu'oncle Douglas a ramené de son studio avant le début de la cérémonie pour la confier à Lilibeth et qu'elle n'a pas lâchée depuis, de la même manière que les époux ou parents des soldats américains serrent contre eux le drapeau tendu sur le cercueil de leurs proches lors de la cérémonie. En soi, mon père était un peu comme un soldat ; il se battait pour être entendu, pour sa liberté d'expression.

By Lilibeth LockwoodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant