Chapitre 1

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Enzo

22h48

Je fixe depuis dix minutes les trois dossiers qui traînent encore parmi les autres sur mon bureau sans parvenir à en toucher un seul. Je me frotte les yeux par dessous mes lunettes, ces derniers totalement épuisés des cinq précédents que j'ai parcouru, décortiqués et rectifiés pour mes confrères avocats qui ont leur audience demain.

La nuit est tombée depuis un moment, les étoiles brillent à travers la grande baie vitrée derrière mon bureau. Je m'oblige à ne pas tourner mon siège de peur de me faire happer par la profondeur du ciel et de m'assoupir. Je lutte contre la fatigue et la sensation de brûlure qui me pique les yeux. J'étire mes bras au-dessus de ma tête avant de me concentrer et de replonger dans le dossier suivant.

Depuis quelques années, les affaires traitées par le cabinet Henderson basé à Seattle se sont décuplées à mesure que le taux de criminalité a augmenté.

Pour l'humanité, c'est un drame. Pour les affaires, c'est un bénéfice.

À la tête de ce cabinet depuis l'obtention de mon examen du barreau, je tente de le gérer de la meilleure des façons, même si cela inclut des sacrifices.

Ne pas compter les heures supplémentaires, de jour comme de nuit et ce, peu importe le jour de la semaine.

Ce cabinet est toute ma vie.

Mon père compte sur moi pour gérer notre cabinet en Amérique d'une main de maître pendant qu'il s'occupe du siège situé en Italie.

Il est minuit passé lorsque je finis de traiter les dossiers des audiences et que j'envoi les derniers mails à mes confrères pour leur transmettre les informations complémentaires à ajouter à leur plaidoirie.

Je déambule d'un pas lasse dans les couloirs sombres de l'immeuble inoccupé. Tous les écrans sont éteints, personne ne travaille à cette heure, à part moi. Après tout, c'est mon rôle en tant que directeur de ce cabinet d'avocat, d'assurer la survie économique des lieux afin que mes employés conservent leur emploi.

J'entre dans l'ascenseur afin de descendre au sous-sol pour récupérer ma voiture. Je consulte rapidement mon téléphone.

Aucun message.

Durant tout le trajet, je papillonne des yeux et ne pense qu'à retrouver mon lit pour tenter de dormir.

Mes nuits sont souvent courtes et agitées, elles ne me reposent pas mais au moins, elles me permettent d'être levé à l'aube. J'ai beau finir tard, je ne m'autorise aucune grasse matinée. Le cabinet ne va pas tourner tout seul.

Dans l'entrée sombre de mon appartement, je zieute à nouveau l'écran de mon portable.

Toujours aucun message.

Je lâche ma mallette avant de jeter ma veste de costume sur le dossier du canapé. Je n'allume pas la lumière, préférant être bercé par celle que m'offrent les étoiles. Elles me donnent l'impression d'être un peu moins seul dans cette vie et dans ce loft beaucoup trop grand pour une personne seule.

Je ne prends pas le temps de dîner et traîne des pieds jusqu'à la salle de bain en passant une main dans mes cheveux. Je desserre ma cravate et déboutonne ma chemise. Instantanément, j'ai l'impression de mieux respirer.

Je dépose mes lunettes sur le rebord de l'évier et me glisse sous la douche. La sensation est immédiate. L'eau chaude qui glisse dans mon dos me détend les muscles. Je manque de m'assoupir face à ce bref instant de détente.

En sortant, je tâtonne mon évier pour mettre la main sur mes lunettes. Parfois, je me dis qu'avoir des lentilles serait plus pratique mais l'idée de mettre mes doigts dans mes yeux ne me semble pas très rassurant.

En quelques enjambées, je rejoins ma pièce préférée et me laisse tomber sur le dos au milieu du lit. En tournant la tête, je contemple le spectacle à travers ma fenêtre.

Mon appartement ne m'est pas d'une grande utilité. J'y passe très peu de temps. Ma véritable maison est mon bureau, c'est là-bas que je passe toutes mes journées et une grande partie de mes nuits. Mais la vue que j'ai depuis le dernier étage du gratte-ciel dans lequel je réside me donne l'impression de toucher le ciel du bout des doigts.

Moi qui ait la phobie de l'avion, regarder par la fenêtre est mon seul moyen de profiter de cette vue subjuguante.

En consultant une dernière fois mon téléphone, je constate qu'il est déjà 1h du matin passé. Je jette un coup d'œil à mon agenda. Mon planning de la journée est une nouvelle fois surchargé entre les rendez-vous, les réunions, les comptes rendus d'audience et la gestion de mes mails. Je soupire et décide d'enclencher le mode avion pour déconnecter quelques heures avec mon travail.

Je laisse les rideaux ouverts, au moins, le soleil se chargera de me réveiller en douceur. Lorsque je ferme les yeux, je ne mets pas longtemps avant de m'écrouler sous la fatigue qui repose sur moi depuis des mois déjà.

*

13h19

Je rejette ma tête en arrière en faisant rouler mon siège loin de mon bureau. Je suis à bout de nerf. Ma secrétaire est en arrêt maladie pendant trois jours et je ne peux pas la blâmer. Je lui donne trop de travail pour une femme qui a déjà effectué les trois quarts de sa vie professionnelle. Je note dans un coin de ma tête de récupérer une partie de sa charge de travail à son retour. Après tout, je ne suis pas à une heure de travail en plus dans ma journée tandis qu'elle si. Elle doit gérer la santé désastreuse de son mari.

Le téléphone ne cesse de sonner toutes les dix minutes et j'ai plus d'une centaine de mails auxquels je n'ai pas répondu. Comme un problème n'arrive jamais seul, aujourd'hui, encore plus que les jours précédents, je ne parviens pas à me concentrer sur mon travail. Pourtant, ce n'est pas la volonté qui me manque.

J'ai été obligé de décaler mon rendez-vous avec le directeur financier des cabinets Henderson, le temps de retrouver une secrétaire en forme et de pouvoir rattraper mon retard.

Je n'arrive pas à gérer le flux d'information qui me passe par la tête. Je suis certain d'avoir oublié de noter un rendez-vous, mais impossible de me souvenir lequel qu'une autre tâche demande mon attention. Je dois en parallèle gérer une des audiences de ce matin dont le procès ne tourne pas en notre faveur alors que j'ai une réunion dans 20 minutes.

J'observe mes cinq gobelets de café qui envahissent ma poubelle quand mon ventre se décide à me rajouter un problème en plus. Je jette mes lunettes sur mon bureau et me frotte à nouveau les yeux.

Putain. Je n'ai pas le temps pour une pause déjeuner.

Je m'étire en réfléchissant rapidement à une solution efficace. Sauter le déjeuner alors que mon dernier repas est une salade qui remonte à hier midi ou grignoter quelque chose histoire de tenir quelques heures de plus.

Je remet mes lunettes et fouille rapidement dans le dernier tiroir de mon placard. Satisfait lorsque je vois qu'il me reste trois cookies dans mon paquet de secours, je les grignote avidement.

Un vrai repas attendra.

En attendant, j'ai gagné 10 minutes en choisissant cette solution, ce qui va me permettre de traiter quelques mails.

Le rappel programmé sur mon ordinateur me sort de mes pensées. Le temps est passé à une vitesse folle lorsque je constate qu'il est déjà temps d'animer ma réunion. Je me redresse et me donne une prestance. J'arrange mes cheveux en passant une main dedans et réajuste ma cravate tout en lissant ma chemise. Je fais tourner ma bague à mon majeur gauche pour le remettre dans sa position initiale. Je relève mes manches avant de récupérer mon ordinateur sous un bras et mon dossier.

C'est l'heure de tenir une réunion de minimum une heure tout en sachant que le double de mes mails m'attendra à mon retour, que j'aurais au moins 5 appels manqués et 2 comptes rendus d'audience à consulter.

Ce soir encore, je ne regagnerai pas mon appartement avant la tombée de la nuit.

L'avocat de SeattleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant