Chapitre 20

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Zoé

Enzo a bataillé toute la journée pour que je prenne mon après-midi et que je ne l'accompagne pas à son rendez-vous extérieur. Sauf que le client en question est M. Clark, le gérant de la société Clark Cars, mon premier dossier, celui que je me suis jurée de suivre dans son intégralité.

Le frère de mon patron est reparti en Italie, pour arriver à temps pour Noël. Bien que leur relation soit compliquée, je ne pensais pas que Enzo et Alessia aurait laissé leur frère dans l'avion le jour du réveillon.

Dans la voiture pour rejoindre notre point de rendez-vous, je ne tiens pas en place sur le siège passager. Une sensation me noue l'estomac dès que je sens la main de mon patron frôler ma cuisse pour passer une vitesse. C'est une torture de ressentir cette tension que je n'arrive pas à ignorer.

— Tout va bien, Zoé ? Tu n'arrêtes pas de t'agiter.

Je lui offre un sourire crispé. Je ne vais quand même pas lui dire que je m'agite à cause de la tension qu'il me fait ressentir.

— Juste une envie d'aller aux toilettes. Ça peut attendre notre arrivée.

Silencieusement, Enzo continue sa route jusqu'à s'arrêter sur une aire de repos. Il se gare et éteint le moteur.

— J'aimerais mieux éviter que tu tâches le siège de ma voiture.

Enzo éclate de rire face à mon regard interloqué. Je me détache rapidement pour rejoindre le petit magasin et éviter une gêne supplémentaire. Dans les toilettes, j'asperge rapidement mon visage d'eau, en espérant que cela va suffir pour me remettre les idées en place.

Lorsque je reviens, mon patron m'attend, adossé contre la carrosserie de sa voiture, téléphone à la main. Son élégant costume noir ne le fait pas passer inaperçu. Plusieurs regards se tournent vers lui et pourtant, il n'en remarque aucun. Aucun, à part le mien visiblement. Il m'observe marcher jusqu'à lui.

Les jambes tremblantes, elles ont dû mal à supporter mon poids. Je dois lutter pour marcher droit. Arrivée à sa hauteur, Enzo fait le tour de la voiture et m'ouvre la portière. Je passe près de lui, son parfum flottant dans l'air jusqu'à mes narines. La chaleur de son corps s'immisce jusqu'au mien.

Il fait si froid dehors, pourtant, je ne ressens que cette chaleur qui valse entre nous.

Pourquoi me rend-il si nerveuse ?

L'après-midi va être longue.

Je commence à regretter d'avoir un patron si agréable. J'en viens à me demander pourquoi je ne suis pas tombée sur un patron exécrable que j'aurais eu tout le luxe de détester ? J'aurais pu éviter tout un tas d'ennuis, comme celui d'être attirée par ce dernier.

Arrivés sur les lieux, nous prenons l'ascenseur pour rejoindre l'étage qui habite le bureau de M. Clark. Nous sommes seuls dans cet engin qui réalise son ascension au sommet du building. Je jette un regard vers mon patron, juste pour m'assurer qu'il va bien. Enzo capte mon regard et je ne parviens plus à détourner le mien. Il pivote pour me faire face, restant à une distance raisonnable.

— Pour ton information, je n'ai des crises de claustrophobie que lorsque je me sens prisonnier, quand je n'ai pas d'issue. Le reste du temps, je ne me sens juste pas à l'aise dans les espaces restreints.

Comment fait-il cela ? Comment parvient-il à lire en moi comme si mes pensées n'avaient aucun secret pour lui ?

Mieux vaut que j'arrête de penser à ce qu'il s'est passé la dernière fois que nous étions seuls dans un ascenseur avant qu'il ne le devine. Alors, je demeure silencieuse jusqu'à ce que les yeux de mon patron se plissent et qu'il éclate de rire.

— Ton visage est si expressif, Zoé.

— Ce n'est pas drôle. Je suis à deux doigts de penser que tu es télépathe.

Le rire d'Enzo redouble pendant que je me renfrogne.

— Et pourquoi pas ? Je sais exactement à quoi tu penses depuis tout à l'heure, déclare-t-il en baissant le regard vers mes lèvres. Tu penses à la même chose que moi, chaque heure, chaque minute, chaque seconde de tes journées et de tes nuits. Cette pensée n'a jamais quitté ton esprit et pourtant, tu ne sembles pas vouloir cesser de lutter.

Mon cœur s'emballe à l'idée que mes pensées les plus inavouées soit mise à nue de la sorte. Enzo a raison, je ressens cette alchimie et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé de l'étouffer.

Cette situation n'est pas anodine. Ce n'est pas juste une broutille que nous pouvons taire à jamais en pensant que ça va se tasser tout seul. Et, c'est encore moins un sentiment que l'on peut oublier facilement, surtout lorsqu'on travaille avec la source de tous nos désirs.

Pourtant, je n'ai toujours pas mis au clair ce que je ressens. Mon esprit est bien trop perdu. Je manque encore trop de réponses à mes questions pour pouvoir lui en fournir.

Mon objectif n'a jamais été de le blesser mais s'il s'avère qu'il dit vrai dans ses propos alors je vais devoir le faire.

Je dois faire taire l'espoir qui naît en lui avant qu'il ne soit trop tard pour faire marche arrière.

— Tu te trompes. Je n'ai jamais pensé à toi en dehors du travail et encore moins de la façon dont tu le décris. Pour moi, la limite à toujours été très claire. Tu es mon patron. Je suis ton assistante. Et rien ne pourra aller au-delà de ça. Jamais.

Je me déteste. Je me sens comme une personne horrible. Encore plus, je hais l'étincelle qui meurt dans son regard après qu'il ait eu le courage de m'avouer une partie de ce qu'il ressent. Je déteste voir sa mâchoire tressauter tant il la contracte. Je l'ai blessé, véritablement. J'ai même peut-être brisé son cœur en même tant que le mien. Et pourtant, je reste convaincue que j'ai pris la bonne décision, pour mon avenir professionnel et pour éviter une relation vouée à l'échec.

Il est abattu et ne tente même pas de le dissimuler.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et j'en sors immédiatement. Cette fois, c'est moi qui me sentais à l'étroit, prise au piège du désespoir de mon patron. Il me suit sans un mot comme s'il ne comptait plus se battre, ni pour nous, ni pour ce rendez-vous.

*

En rentrant en fin de journée, je me sens toujours aussi mal. Je ressasse mon monologue d'il y a quelques heures. Enzo ne m'a adressé la parole uniquement pour l'aspect professionnel de notre relation. J'ai mené le rendez-vous avec M. Clark seule. Mon patron était très distrait. Au retour, le silence dans la voiture me donnait presque des frissons.

Je suis une horrible personne.

Cette fois, il m'a simplement déposé dans le parking du cabinet et a regagné ses locaux sans un regard en arrière. Je l'ai regardé s'éloigner de moi, le cœur lourd sans pouvoir m'empêcher de penser que j'ai délibérément provoqué cette situation.

Je marche jusqu'à mon appartement d'un pas lent. M'éloigner de mon lieu de travail me donne encore plus l'impression de m'éloigner d'Enzo.

Peut-être que je viens de tout foutre en l'air.

Mon sac dévale le long de mon bras et chute à mes pieds. Je me prends la tête dans mes mains. J'ai beau me montrer invincible, tentant par tous les moyens d'avoir le caractère fort et courageux de ma mère, cette fois c'est trop dur d'essayer d'être à la hauteur.

J'ai tellement eu l'habitude de me donner à fond dans mon travail que je me suis interdit ce genre de sentiments depuis des années. Je réfléchis à ce que Enzo me fait ressentir, la femme qu'il me fait être, l'assistante juridique qu'il me fait devenir.

Je n'ai aucune idée de comment gérer ça toute seule. C'est dans ces moments que j'aurais aimé avoir ma mère à mes côtés pour me conseiller.

Je fond en larmes au milieu de mon salon, seule et le cœur lourd.

Qui choisir ?

Le patron ou l'homme ?

L'avocat de SeattleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant