Si tu me cherches, tu me trouves

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[Brigitte]

Simon

— Mec, va chier un coup, ta gueule de constipé commence à me stresser.

Je lève un cil vers Raph, qui tente vaillamment de fourrer une cuillère de purée dans la bouche de sa gamine. Lizzie, dans un premier temps, accepte l'offrande paternelle avant de recracher l'amas verdâtre sur sa chemine. Je dissimule un sourire narquois.

Merci, chère nièce, de me venger.

Dans un soupir irrité, mon meilleur ami tente de convaincre la chair de sa chair de se montrer plus conciliante

— Allez, mon chat, mange le bon ragoût d'épinard que j'ai conçu de mes petites mains.

Peine perdue, Lizzie boude, refusant d'honorer la pitance bio et faite maison.

— J'abandonne pour ce soir, souffle-t-il en se tournant vers sa tendre épouse.

Dans un rictus aussi mutin que le mien, Tania prend la relève. En moins de dix secondes, la charmante poupée de neuf mois avale la moitié de l'assiette.

— La princesse a tout pigé, marmonné-je, moqueur.

— Tiens, un sourire, rétorque Raph du tac au tac. C'est bon, t'as pété un coup ?

Devant son air vexé, les commissures de mes lèvres s'étirent davantage.

Depuis bientôt six mois, Raph supporte ma mauvaise humeur croissante, prenant soin de m'entourer de toute son amitié. Je ne lui facilite pas la tâche à pester constamment, pourtant, il continue de m'inviter à déjeuner au cabinet quasiment tous les midis et à organiser un dîner par semaine en compagnie de sa petite famille. J'ignore comment il est parvenu à tenir le cap toutes ces semaines sans se décourager. Comment il a réussi à m'écouter me plaindre de l'absence d'Anna, à tolérer ma morosité permanente et à accueillir ma rage contre Peter, Léna, Mina et désormais Chris.

C'est un saint, et s'il craque un peu ce soir, je ne peux pas lui en vouloir.

— Voir Lizzie te cracher dessus a de quoi dérider le mec le plus dépressif de la planète.

Il s'esclaffe.

— Bordel, j'adore Clément, mais ton humour caustique me manque, au cabinet.

Je souris. Je croise souvent mon remplaçant lorsque je rejoins Raph pour manger. Il se montre toujours agréable, même s'il a rarement le temps d'échanger. Peu importe. Nous avons mis une place des réunions tous les mois, au cours desquelles nous discutons de ses dossiers. Cela m'arrive également de l'aider avec la paperasse ou juste de lui conseiller quelques restaus dans le quartier. C'est un bon gars. À mon retour, je me demande si je ne vais pas lui proposer une collaboration. Qui sait, peut-être Anna et moi envisagerons-nous de fonder une famille, nous aussi, un jour ?

Mon visage s'assombrit de nouveau à cette pensée. Avant de mentionner l'avenir, il nous faudrait régler le présent. Si le témoignage de Chris, ou plutôt Colin, ouvre des perspectives intéressantes pour le procès à venir, l'absence de coopération de la mère d'Anna reste une sacrée déception. Faustine Jourda évoque « une situation complexe à l'issue incertaine ». En gros, cela va beaucoup dépendre du jury, ce qui n'arrange personne quand on connaît le charisme de Peter et Léna. Nous discutons beaucoup de mes inquiétudes avec Anthony lors de nos séances. Il m'a contraint, à quelques reprises, à envisager le pire. Si cet exercice s'est avéré ardu, nous en avons conclu qu'en cas de victoire de Peter, la vie ne s'arrêterait pas.

Même si on me retire mon autorisation d'exercer. Même si Anna perd sa crédibilité de journaliste. Même si nous devons nous éloigner de la capitale.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant