Tu tabasses mon coeur dans tous les sens

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[Thérapie Taxi]

Anna

Anthony m'arrête au moment où je m'apprête à rentrer dans la chambre de Simon.

— Je pense que nous devons d'abord parler.

Le ton est sans appel, à la limite de l'ordre, et même si je voudrais protester, quelque chose dans son regard m'en dissuade. Résignée, je le suis jusque dans une salle réservée aux familles, déserte à cette heure-ci, et prends place face à lui sur un fauteuil usé jusqu'au trognon. Je scrute nerveusement les lieux, mon sac serré contre mon ventre et mes jambes repliées sous la chaise. Je n'aime pas du tout la direction que les choses prennent. Pour tromper mon stress, je balance le premier truc qui me passe par la tête.

— Je ne savais pas que les médecins de l'extérieur, en particulier d'une autre région, pouvaient intervenir dans un hôpital sans travailler pour celui-ci.

— Ce n'est pas fréquent, convient-il. Mais quand on a bossé pour les meilleurs services parisiens, ça ouvre quelques portes, surtout pendant l'été, lorsque les effectifs, déjà réduits, s'amenuisent davantage.

Je hoche la tête, concentrée sur ses propos. Je me rappelle effectivement qu'il m'avait expliqué ça, à son arrivée. Je n'avais pas vraiment écouté. Seul l'état de Simon m'intéressait.

— En gros, tu leur rends presque service ?

Anthony esquisse un sourire malicieux. Il a compris que j'essayais de différer la conversation qui nous attend et, en bon thérapeute, ne tente pas de me brusquer.

— Presque. Leur psychiatre de garde n'est pas là. Il n'y a que les internes. Disons que ça les soulage, même si je marche un peu sur leur plate-bande. J'ai signé un contrat temporaire de remplacement. Un bordel administratif sans nom, que la DRH a réussi à démêler.

Un léger silence s'installe, qu'il ne tente pas de combler. Enfin, lorsqu'il sent que je n'interviendrais plus, il relance, d'une voix douce :

— Comme je te le disais, Simon semble avoir retrouvé ses esprits, débute le psychiatre.

Les mains entrelacées sur la table, il me fixe d'un air grave. Ça ne ressemble pas à une bonne nouvelle.

— Mais ?

Anthony soupire et détourne un instant le regard avant de revenir à moi, plus sérieux et concentré que jamais.

— Une bouffée délirante de trois jours, ça reste relativement court. Possible, mais court.

Il cherche ses mots, je le vois, et je refuse qu'il tourne autour du pot plus longtemps.

— Va droit au but, s'il te plaît.

Je perçois l'hésitation dans ses yeux sombres avant qu'il n'abdique. A-t-il pigé que je ne cèderai pas, ou privilégie-t-il la transparence totale, m'épargnant l'habituel lexique professionnel qui abrutit les familles de questions au lieu de leur fournir les réponses espérées.

— La possibilité d'une rechute dans ces conditions est à envisager, même si certains de mes collègues pensent qu'une déshydratation sévère suffit à expliquer son état.

Je plisse les yeux, perplexe, ne comprenant pas où il veut en venir.

— Je croyais le risque de récidive très faible. Tu m'en as même assuré ! Tu as changé d'avis ? Pourquoi ? D'où sort cette histoire de déshydratation ? Quel rapport avec ses délires ?

Mes paroles s'accélèrent dangereusement au fur et à mesure que la panique gagne du terrain. Est-il en train de m'annoncer que l'homme que j'aime a disparu pour toujours ?

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant