I'll be watching you

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[The police]

Anna

— Elle est tellement belle !

Sous mes yeux se tient l'image de Raphaël avec un bébé d'environ trois mois, dont il semble totalement gaga.

— N'est-ce pas ?

Je dévisage Simon attentivement. Celui-ci observe la photo avec une fierté aussi surprenante qu'émouvante. Un court instant, la vision du psy en train de bercer un être qu'il aurait contribué à fabriquer me traverse l'esprit. Chamboulée, je pose mon morceau de pain à demi grignoté, incapable d'en avaler une miette supplémentaire. Devenir maman n'a jamais fait partie de mes priorités, même si je m'imaginais volontiers entourée de deux ou trois bambins. L'idée que fonder une famille puisse constituer pour le jeune homme un objectif me gargarise et m'effraie à la fois.

— Ils ne galèrent pas trop ?

— Si tu te fies à leurs têtes et à leurs propos, si ! Mais apparemment, ça vaut le coup. Ils l'affirment tous les deux.

Les prunelles humides de mon psy percutent les miennes, et je parie que son cœur partage les mêmes visions que les miennes. Un ventre rond. Des petits pieds. Des yeux bleus et des cheveux auburn.

Un bref instant, j'envisage de l'interroger sur ces sujets pourtant bien éloignés de nos préoccupations actuelles. Souhaite-t-il se marier un jour ? Combien d'enfants aimeraient-ils ? A-t-il projeté d'acheter une maison à la campagne ou se sent-il parisien jusqu'au bout des ongles ? Je choisis finalement de ne pas m'aventurer sur ce terrain. Étant donné notre histoire et ses multiples obstacles, il paraît prématuré, voire impossible, d'aborder la question d'un avenir aussi précis.

Cela fait désormais deux semaines que Simon et moi partageons notre quotidien. Depuis que notre relation a retrouvé une dimension affective et sensuelle, nous laissons les conversations difficiles au placard. Notre futur reste conditionné et conditionnel à la fin de ses vacances et nous éludons le sujet. Notre lâcher-prise se transforme peu à peu en évitement, mais aucun de nous ne souhaite troubler notre petit paradis en ouvrant la boîte de Pandore.

Seules mes séances avec Marc me ramènent à cette réalité branlante. Si le thérapeute s'est montré enthousiaste au sujet de notre réconciliation, il a également, comme je m'y attendais, émis quelques réserves. Néanmoins, il voit là l'occasion de travailler sur mes traumas par le prisme des relations duelles que j'ai entretenues jusqu'à présent.

— En tout cas, il est ravi pour nous, il me l'a encore répété hier soir ! s'exclame Simon, désireux de mettre fin au silence un tantinet pesant qui nous enveloppe.

— Tu le féliciteras de ma part ?

— Bien sûr. Je lui téléphonerai tout à l'heure, dès que j'aurais fini d'aider Chris à nettoyer ses planches à la con !

Son air bougon m'arrache un sourire tendre.

— Dis-moi, tu lui as proposé un coup de main par altruisme ou dans l'idée de lui soutirer moult informations à mon sujet ?

Simon hausse un sourcil, arborant un rictus taquin.

— Ça, la légende ne le dévoile pas, très chère, élude-t-il.

J'éclate de rire en commençant à débarrasser la table. Le psy et le surfeur s'entendent de mieux en mieux, même si je soupçonne le premier de conserver quelques réticences au sujet du second. J'ignore comment rassurer mon amant, dont la fierté l'empêche de s'étendre trop longuement sur ses insécurités. Alors que je songe à lui dévoiler mes pensées, un coup d'œil sur ma montre me rappelle que ma séance avec Marc débute dans une demi-heure. Moins de cinq minutes plus tard, je suis dans ma voiture, direction Brest.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant