Au fond je crois, que j'agonise

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[Thérapie Taxi]

Simon

Cette soirée était une mauvaise idée.

Je bois une énième gorgée de mon énième bière en observant Tag d'un air dépité. Contrairement à moi, il semble beaucoup s'amuser. La petite brune assise sur ses genoux rit à gorge déployée à une blague qu'il vient de lui glisser à l'oreille, et je ne peux retenir une grimace. L'humour de Tag constituant un affront à l'humanité, soit cette fille possède le QI d'une huître, soit elle devrait sérieusement arrêter de picoler.

— Que dit Pinocchio quand il pète ? « J'ai péto » ! T'as saisi ? Gepetto !

Bordel. J'ai une furieuse envie d'avaler un bidon d'essence.

Je les regarde glousser comme des dindons, regrettant de ne pas me trouver en compagnie de Raphaël. Avec l'arrivée de son trésor, nous ne risquons pas de le revoir de sitôt. Dans l'espoir vain d'anéantir l'amertume qui se répand dans ma bouche, je termine mon verre d'une traite. Jusqu'ici, je ne m'étais jamais particulièrement inquiété des naissances et mariages qui fleurissaient dans mon entourage. Ayant enterré toute idée de bonheur familial dans les tréfonds de mon cerveau endeuillé, je me focalisais exclusivement sur ma carrière, persuadé qu'elle constituait mon unique source de félicité. Si, en vérité, je n'étais pas heureux, je restais néanmoins confortablement installé dans un quotidien entièrement sous contrôle.

Et ça m'allait. Avant Anna, du moins.

Refusant de m'appesantir à nouveau sur ma douleur, je décide d'aller commander une vodka. Fini les conneries, j'ai besoin d'un poison plus fort.

— Je file chercher à boire ! lancé-je à Tag en me levant.

Mon pote dresse son pouce en l'air en signe d'acquiescement tandis que je m'efforce de ne pas lever les yeux au ciel. Bordel, il a conscience de ressembler à un gros plouc ?!

— Bonne idée ! Quand tu reviendras, sache que Lison a une amie très sympa qui s'ennuie à mourir.

Je fixe la petite blonde qu'il me désigne et lui sourit, mal à l'aise. J'ignore ce qui me choque le plus, l'irrespect de la proposition de Tag ou l'indifférence avec laquelle cette jeune femme réagit, comme si elle avait la malheureuse habitude que l'on parle d'elle en ces mots.

Elle n'est pas moche, loin de là. Son top moulant dévoile une poitrine plutôt agréable et sa jupe s'évase élégamment au niveau du genou. Je pourrais presque la trouver séduisante, mais la façon dont elle me dévisage, avec une passivité confinant à la soumission, m'arrache un frisson d'effroi. Je déteste ce genre de nanas qui ressemble à toutes les autres.

Ce n'est pas sa faute. Je sais mieux que quiconque que la société renvoie aux femmes qu'elles doivent être belles, disponibles et répondre au désir de l'homme sans poser de questions.

En résumé, qu'elles doivent apparaître comme bandantes, mais pas emmerdantes.

— Tu sais comment on appelle une blonde avec des lardons dans les poches ? Une quiche !

Bon, sang, il en a combien comme ça ?

Sans réagir, j'effectue les quelques mètres qui me séparent du précieux liquide transparent, celui qui possède le pouvoir de me faire oublier un instant ma vie merdique. Adossé contre le bar, j'attends ma commande, les yeux rivés vers les corps en transe sur la piste. Je me demande ce que je fiche ici, à une heure du matin, en compagnie d'un idiot et de poupées sans âmes. Les raisons qui m'ont poussé à venir me semblent soudain lointaines. Très lointaines.

Au lieu d'apaiser mes tourments, cette sortie accentue la sensation de manque qui accompagne chacune de mes journées. Je n'ai pas envie d'être dans cet endroit. Je n'ai pas envie de prétendre que tout va bien en riant à des conneries. Je n'ai pas envie de baiser un tas de femmes.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant