Prendre le large et sauver ma peau

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[Brigitte]

Anna

9 mois plus tôt — 28 octobre

J'ouvre les yeux. Lesmurs familiers de mon appartement m'entourent, et je reconnais le moelleux demon canapé qui soutient ma silhouette engourdie. Un bref soulagement m'étreint, aussitôt balayé par un raclement de gorge que je connais bien pour l'avoir supporté durant des années.

Peter.

Je me redresse d'un bond. Ma tête tourne.

Je m'en moque.

Assis sur une chaise, l'avocat me fixe froidement, ses deux mains reliées par le bout de ses phalanges. Mon réveil ne lui soutire aucune émotion spécifique. Il continue de m'observer comme si je constituais un problème à résoudre. Un problème particulièrement retors.

Soudain, son regard s'aventure vers le reste de mon corps. J'y lis un mélange de désir et de violence qui me fait frémir de la tête au pied. Pourtant, je ne dis rien. Je ne bouge pas.

Je suis revenue deux ans en arrière, transformée en une marionnette sans défense ni volonté.

La misérable victime que j'espérais enterrer a repris le contrôle.

J'ai honte autant que j'ai peur. Honte de me taire, de me soumettre, de rester figée.

Toujours aussi docile, ma jolie ? finit par lâcher Peter d'une voix veloutée.

Je ne réponds pas, m'accrochant aux derniers pans de ma dignité. Au prix d'un effort monumental, je soutiens son regard arrogant. Il n'a pas beaucoup changé. Ses cheveux noirs sont courts et coiffés à la perfection grâce à une touche de laque qu'on entrevoit à peine. Rasé de près, son sourire glacial fait ressortir son nez aquilin et ses pommettes légèrement saillantes. Même assis, on devine sa stature imposante. Sans être musclé, il transpire l'autorité et la domination.

Je réfrène un mouvement de recul quand il se penche vers moi et plonge ses iris dorés dans les miennes.

Tu boudes ? se moque-t-il doucement. Ou alors tu me provoques exprès pour que je te punisse encore ? Vilaine fille.

Je dois rassembler tout mon self-contrôle pour ne pas vider le contenu de mon estomac sur ses chaussures Armani à la con. J'aimerais lui répondre ou lui cracher à la gueule, mais il n'attend que ça. Que je lui donne une bonne raison de me violenter.

Les images de son sexe rentré de force dans le mien m'explosent à la figure, et je ne peux retenir un sanglot.

Ne pleure pas, ma petite chatte, chuchote Peter en me caressant la joue d'un doigt. Je ne vais pas te faire de mal. Je ne t'ai jamais fait de mal. Tu le sais aussi bien que moi. Rappelle-toi comme on n'a pris notre pied la dernière fois. À même le sol. Tu étais si serrée ...

Cette fois, je me lève et cours vers les toilettes, où je vomis longuement sous les rires sardoniques du brillant avocat resté dans le salon. Quand je finis par revenir, blanche et titubante, il m'attend patiemment, un large sourire aux lèvres. D'un geste ferme, il m'indique de venir me rasseoir face à lui.

Tu sais, trésor, je n'ai pas vraiment apprécié que tu me quittes, lance-t-il d'un ton badin tandis que je retrouve ma place. Je l'ai néanmoins accepté. Il était préférable que je te laisse prendre tes décisions stupides plutôt que de perdre la sympathie de tes parents qui me sont si précieux.

Je réprime un ricanement méprisant. Qu'il l'avoue ou pas, Peter a toujours craint mon père. Toujours.

J'ai donc tiré une croix sur toi bien malgré moi, continue-t-il d'une voix égale. Tu étais pourtant la femme idéale. Belle, douce, attentive, faible. Manipulable. On aurait pu en rester là, Anna, mais il a fallu que tu te mettes en tête de consulter un psy pour une malheureuse petite sauterie qui t'a contrariée.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant