S'armer de courage et envoyer valser

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[Brigitte]

Anna

Je reviens de ma course au bout d'une heure, éreintée, mais plus sereine. Le soleil arrivant au zénith, je profite de l'ombre du grand hêtre fièrement dressé au milieu du jardin pour réaliser quelques étirements avant de me rincer brièvement sous l'eau chaude. Une fois habillée, je m'installe confortablement sur une des deux chaises longues à disposition sur la terrasse, puis, mes lunettes de soleil sur le nez, j'attrape mon ordinateur portable.

Un nouveau mail de John m'attend. Ce dernier a décidé de me confier un article un peu plus important que les sempiternelles idioties que je produis depuis quelque temps. J'en sauterais presque de joie s'il ne s'agissait pas d'un sujet en rapport avec #iamher. Le mouvement né presque dix-huit mois plus tôt n'a pas diminué d'ampleur, au contraire. Si l'affaire Wallis-Cole a été remplacée par un autre scandale, le tsunami qu'elle a généré continue de tout dévaster sur son passage. Après le cinéma, les chanteurs et artistes comiques sont désormais visés, sans parler du milieu des influenceurs. Les têtes tombent, les actions en justice se multiplient et de nouvelles lois se réfléchissent en commission à l'Assemblée nationale.

Tant mieux.

D'après ce que mon patron m'explique dans ses lignes, World's View s'est lancé dans un reportage, soutenu par une figure féministe française réputée, sur les thérapies et soins des victimes de violences sexuelles. Il souhaite donc que je me renseigne sur celles-ci : prix, durée, facilité d'accès, contenue. Je lâche un rire cynique en songeant qu'il me demande, en gros, d'investiguer sur le travail de Simon et de ses paires. Sur ce que j'ai moi-même traversé avant de tomber dans les bras du psychologue. Sur ce que j'ai refusé de poursuivre après.

Décidée à chasser le malaise que je sens s'insinuer, je me concentre sur la suite du long message, qui se termine par le délai dont je dispose. John me laisse à peu près trois semaines pour boucler le papier ce qui, étant donné mes occupations inexistantes, ne devrait pas poser de difficultés. Malgré l'angoisse qui me tiraille le ventre à l'idée de replonger dans ce projet et tout ce qu'il véhicule comme souvenirs et émotions, je pianote sur mon écran, déterminée à me pencher d'ores et déjà sur la question.

— Mademoiselle ? Hé oh ! Mademoiselle !

Il me faut une bonne seconde pour comprendre que cette voix masculine s'adresse à moi. Curieuse, je pose mon ordinateur par terre et lève les yeux vers le visage souriant d'un homme. Ce dernier, âgé d'une trentaine d'années environ, se tient derrière le portail.

— Nous sommes voisins, indique-t-il devant mon air circonspect. Le facteur m'a laissé ça pour vous ce matin, madame ...

Il fronce les sourcils en déchiffrant péniblement l'écriture sur la grosse enveloppe entre ses mains.

— Thomson ?! articule-t-il enfin. Vous êtes la fille de Carla ?

Je cligne des yeux, stupéfaite qu'il connaisse la tante de Julia, avant de me ressaisir.

— Sa nièce.

Mes prunelles parcourent sa silhouette athlétique. Je dois reconnaître qu'il n'est pas dénué de charme si on aime le côté surfeur blond. Bien qu'il semble plutôt petit, son torse et son ventre soigneusement sculptés par une pratique intensive de sport rattrapent ce léger désavantage.

— Je ne me souvenais pas qu'elle était rousse. Enfin bon, la dernière fois que nous nous sommes vus, c'était il y a environ 15 ans. Elle a sans doute pu changer, non ?

Son air pétillant ne trompe guère. Il a repéré l'imposture. Honteuse d'avoir été si bêtement démasquée, je détourne le regard vers la mer à la recherche d'une excuse ainsi que d'une nouvelle identité.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant