Un peu sonnée par cette foutue bataille

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[Superbus]

Anna

Un an, déjà.

Un an que Simon et moi nous sommes revus lors de cette conférence à Brest.

Un an que nous luttons, main dans la main, pour nous retrouver et nous aimer.

Cette bataille, dont nous ne ressortirons pas indemnes, se termine aujourd'hui, 365 jours pile poil après avoir démarré. Dans moins d'une demi-heure, le procès qui nous opposera, Peter et moi, va débuter. Assise au premier rang de la salle d'audience, j'inspire et expire lentement pour conserver mon calme. Faustine Jourda, concentrée, compulse une dernière fois ses notes. Son professionnalisme force l'admiration. Bien qu'elle nous ait, à plusieurs reprises, invités à la prudence quant au verdict final, elle se montre confiante depuis que Carole a daigné rejoindre notre camp. A priori, même si Léna et Peter se débattront pour obtenir les faveurs du jury, les preuves plaident de notre côté. Ce connard devrait écoper d'une peine et c'est tout ce qui m'importe. Que justice soit faite. Pour moi, mais aussi pour Alice, pour Suri, pour mon père.

Pour ma mère.

J'ai aperçu cette dernière en arrivant, juste avant qu'on ne la conduise dans la pièce réservée aux témoins. Gênée de tomber sur moi, elle m'a toutefois saluée d'un léger signe de la main, auquel j'ai répondu par un sourire tendre. Chaleureux. Sincère.

Après sa déposition trois mois plus tôt, j'ai tenté de la joindre pour la remercier. Elle n'a jamais décroché et s'est contentée de m'adresser ce SMS :

« J'ai fait ce que j'avais à faire ».

Je n'ai pas réagi. Son acte, aussi courageux soit-il, n'efface pas le reste. N'annihile pas les années de dénigrement, de maltraitance, de moqueries. Si j'éprouve pour elle une gratitude infinie, notre relation s'avère probablement bien trop dégradée pour qu'on puisse la réparer un jour.

Selon Julia, qui le tient de ses parents, Carole a prévenu mon père de son témoignage à venir avant que les rumeurs ne circulent dans tout Marseille. Il est certain qu'après l'audience, sa liaison avec Peter n'aura plus de secrets pour personne. Comme elle l'avait craint, Charles a entamé une procédure de divorce pour faute, ce qui lui laisse peu de chances d'obtenir la mirifique prestation compensatoire à laquelle elle aurait pu prétendre. Je suppose que, très vite, toutes ses fausses amies de la haute société lui tourneront également le dos, refusant d'être assimilées à sa dépravation. Ainsi va le milieu élitiste. Les gens ne constituent que des objets remplaçables à tout instant. Si une partie de moi l'admire d'avoir privilégié ce combat plutôt que son confort tant revendiqué, je ne m'inquiète pas plus que ça. Je parie qu'elle dispose d'un filet de sécurité, probablement en la personne d'un amant fortuné qu'elle sortira du placard une fois l'affaire tassée. Ma mère a les dents trop longues pour se contenter de la misère qui semble la guetter.

Quant à mon père, je n'ai toujours aucune nouvelle de lui. Sa fierté a définitivement achevé de rompre nos liens déjà fort distendus. Je suppose que je peux désormais me considérer comme orpheline. Étrangement, ça ne me blesse pas autant que je l'aurais pensé. Quand on y réfléchit, mes parents n'en ont eu que le nom.

Soudain, le silence se fait dans la salle et, quelques secondes plus tard, le juge, un homme bedonnant aux cheveux blancs comme neige, s'installe face à nous. À quelques mètres de là, Peter et Léna prennent également place.

Mon cœur s'accélère brusquement. L'ultime combat vient de débuter.

Pendant une heure, l'audience, ouverte au public, assiste à différentes étapes préalables aux débats. Le jury est constitué, les témoins présentés et l'organisation des heures à venir révélée. Faustine Jourda semble parfaitement à l'aise face à l'agressivité latente de Léna. Son assurance indéfectible me réconforte. Me contient. M'apaise.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant