L'âme ne se rend pas au désespoir sans avoir épuisé toutes les illusions

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[Victor Hugo]

Anna

Avec le temps,

Avec le temps, va, tout s'en va

On oublie le visage et l'on oublie la voix

Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller

Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien

La voix lancinante et douloureuse de Léo Ferré chante à merveille le chagrin qui étouffe mon cœur. Blottie dans mon lit, un oreiller roulé en boule contre ma poitrine, je pleure ma solitude en écoutant de la musique, compagne parfaite de mon infortune.

Simon est parti. Définitivement. C'est une torture que de respirer en sachant qu'il ne sera plus jamais mien. Qu'il ne me serrera plus dans ses bras. Que je ne goûterai plus à ses lèvres si chaudes.

L'espoir est une chienne. Elle se niche dans les recoins les plus inaccessibles de nos âmes. Je pensais avoir accepté son départ. J'avais sous-estimé mes désirs les plus enfouis.

Cela fait trois jours qu'il a quitté cette terrasse et, depuis, je n'ai pas bougé de ma chambre. Chris doit se douter que ça ne s'est pas bien passé puisqu'il n'a pas tenté de me voir. J'ai besoin de temps, d'espace, ce que mon charmant voisin semble comprendre et respecter. J'ignore aussi les appels de Julia. Je ne sais pas quoi penser des dernières paroles de Simon à son sujet. De façon pragmatique, ses suspicions sont fondées. Les parents de ma meilleure amie connaissent beaucoup de monde à Marseille, dont les associés de Peter. L'information aurait effectivement pu transiter de cette manière. La perspective qu'elle soit coupable m'effraie autant qu'elle m'épouvante. Si jamais elle m'a trahie, alors je ne suis plus en sécurité ici.

Ni nulle part.

Alors que l'angoisse enfle dans ma poitrine de façon démesurée, mon téléphone sonne. Encore. Encore. Et encore. Au bout du cinquième appel, lasse d'éviter la jeune femme et sa ténacité à la con, je choisis de décrocher. De toute façon, il faudra bien que je l'affronte à un moment donné.

— Putain de merde, Anna, c'était quoi ce silence radio de trois jours ?

La voix hystérique de mon amie m'arrache une grimace, entre agacement et colère.

— Il s'est passé des choses dont je ne pouvais pas discuter, éludé-je, incertaine de la formulation adopter.

Comment verbalise-t-on « Simon t'accuse de nous avoir balancés » avec diplomatie ?

— Quelle réponse rassurante et claire, Anna !

Usée par son ton cinglant, j'abandonne le tact et opte pour une approche franche et directe.

— Est-ce que tu as parlé de moi et de Simon à quelqu'un ? Quelqu'un qui pourrait connaître Peter ?

J'attends ses dénégations, ses cris outragés, ses répliques furieuses, en vain. Devant ce mutisme qui se prolonge, mon corps se tend. Chaque seconde qui s'écoule dans cette atmosphère pesante met en évidence sa culpabilité.

— Pourquoi tu me demandes ça ? souffle-t-elle au bout d'un temps interminable.

— Réponds à ma question.

Le silence s'installe de nouveau, de courte durée cette fois.

— Eh bien, disons que j'ai, euh, discuté avec mes parents, commence prudemment mon amie.

— Tu as quoi ?!

— Attends, laisse-moi t'expliquer...

Si elle s'efforce de garder un ton calme, je perçois nettement son affolement dans les sonorités aiguës de sa voix. Bordel, elle l'a vraiment fait. Elle nous a vendu.

A cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant