A cœur perdu

Puisque tu pars

[JJ Goldman]

Anna

L'heure est venue. Après onze mois passés dans cette maison, je m'en vais.

Je rentre à Paris. Je rentre affronter mon ex.

Mes yeux balaient le salon et s'attardent sur mes bagages. J'avais emporté peu de choses, finalement. Savoir que ma vie, toute ma vie, tient en deux valises pleines à ras bord me chagrine et me soulage à la fois. Tout recommencer, voilà une perspective aussi riche qu'effrayante.

Tout brûler, tout effacer, tout cramer. Redémarrer à zéro. Avec lui.

Le cœur battant, je sors mon fatras sur la terrasse et, en cette fin septembre, fixe une dernière fois l'horizon bleuté. J'ai effectué mes adieux à Marc la veille, lui promettant de poursuivre notre travail auprès d'un de ses confrères parisiens. Je l'ai longuement remercié pour ces deux petits mois de soutien, durant lesquels tant de choses se sont produites.

Tant de choses dures, complexes, folles, terribles, formidables.

Désireuse d'immortaliser mes ultimes instants ici, je saisis mon portable et réalise quelques photos. Je n'ai pas envie d'oublier cette année pesante. Malgré toute l'horreur que j'ai traversée, ce sont des mois qui m'ont vu grandir, mûrir, m'ouvrir. Qui m'ont laissé espérer la chance d'une rédemption.

Les clichés pris cèdent la place à mon fond d'écran habituel. Aucun nouveau message n'apparait. Hier soir, lorsque j'ai annoncé mon retour à Simon, il a répondu avec une joie manifeste et nous avons échangé un moment, plus longuement que tous les autres jours réunis. Il souhaite me voir dès mon arrivée, offre que j'ai déclinée avec le plus de douceur possible. J'ai besoin d'un temps seule chez Julia afin de déterminer comment lui expliquer le plan mis au point avec mon avocate.

Ce dernier ne va pas lui plaire. Du tout.

Nous avons passé trois rendez-vous par visio, tous d'une durée de deux heures, pour effectuer le tour de la situation et organiser notre stratégie. Celle-ci commence par un dépôt de plainte demain matin en sa compagnie.

Je ne reverrai Simon qu'après cette première étape. Quand il ne pourra plus me convaincre de faire marche arrière. S'il a assuré me laisser les commandes et décisions, une partie de moi redoute encore qu'il ne s'en mêle, surtout lorsqu'il apprendra ce que notre plan implique.

— Votre taxi est arrivé, madame Klein !

Je me tourne brusquement vers Chris, qui m'accueille d'un sourire doux. Ses lunettes de soleil clipsées à sa chemise entrouverte me font pouffer. Si l'arrière-saison bretonne s'avère délicieuse, son look de vacancier commence à détonner légèrement avec la baisse drastique des températures.

— Toujours pas remballé le short ? le provoqué-je.

— On a du sang breton ou pas, chérie !

Dans un rire partagé, nous plaçons mes bagages dans le coffre avant de filer en direction de Guipavas. Mon cœur se pince en songeant que, la dernière fois que j'ai effectué ce trajet, c'était pour quitter Simon.

Dix jours plus tard, il s'agit de le retrouver. Ou à peu près.

— Contente de rentrer ?

Sa question, posée au moment où il se gare sur le parking l'aéroport, me saisit à la gorge.

— Oui. Enfin, j'ai aussi la trouille, ne nous le cachons pas, mais...j'ai hâte de le retrouver.

— C'est beau, la façon dont tu l'aimes. J'espère... J'espère vivre ça, un jour.