Elle se réveilla dans une chambre où il gelait. Le feu dans le brasero n'avait pas tenu. Il faisait noir et pas un trait de lumière ne filtrait au travers des planches déjointées du volet. Quelle heure pouvait-il bien être ? Un bref instant, elle pensa à Dumbie, puis sourit. Nan, Dumbie, c'était du passé. Elle n'entendrait jamais plus le sempiternel "je n'ai pas l'autorisation..."
Elle glissa la main sous son oreiller et en tira un petit réveil digital qui, comme la lampe de poche solaire, avait échappé à Valériane. 5h34. Elle grimaça. Un peu tôt ! Elle se leva en maugréant, posa du petit bois sur les quelques braises qui restaient dans le brasero, souffla dessus. Le feu reprit rapidement et elle mit une bûche bien sèche qui s'enflamma aussitôt en craquant. Elle soupira en piétinant sur place, les mains au-dessus des flammes. Elle posa une grille et une bouilloire sur le feu, fit un tour par le pot de chambre avant de retourner se blottir sous la peau de mouton.
Aujourd'hui commençait sa nouvelle vie, et à la différence de la première fois où elle s'était réveillée dans cette même chambre, elle avait choisi. Elle soupira, leva les yeux. Les flammes du braséro éclairaient désormais suffisamment la chambre pour qu'elle puisse voir, au-dessus d'elle, la petite tache noire, immobile et familière.
— Salut, Gertrude, bien dormi ?
Comme "qui ne dit mot consent", elle supposa que oui.
Sous la peau de mouton, elle posa sa main sur son ventre, le caressa doucement en souriant.
— Et toi ?
Elle se rembrunit. Même si elle refusait de considérer son bébé comme un problème, elle devait s'avouer que c'en était un. En acceptant de reprendre sa place, elle se devait d'être franche avec Tréville. Elle devait lui dire. Tréville n'aimait pas qu'on lui mente, et lui cacher son état, c'était un mensonge, par omission peut-être, mais un mensonge tout de même. Pour l'instant, sa grossesse ne se voyait pas sous la couche de jupon et de jupe, mais elle ne se faisait pas d'illusion. Elle allait entamer son deuxième trimestre, et allait s'arrondir.
Cependant, Constance lui avait apporté une réponse parfaitement valable. Elle la croyait veuve et c'était plausible. Après tout, elle était partie plus d'un an. Elle n'était pas obligé de rentrer dans les détails.
Elle soupira. Veuve. Est-ce que ça éveillerait l'intérêt d'Aramis ? Est-ce qu'il se montrerait jaloux ?
Elle en doutait. Pas après ce qu'il avait dit hier, avant de disparaître dans les tréfonds de la garnison. Le souvenir de ce regard, dénué de tout sentiment la fit frissonner. Ses yeux n'avaient plus la couleur chaude de l'onyx. Ils étaient justes noirs. Noirs comme une nuit sans lune, une nuit éternelle et sans espoir. Hier, elle avait croisé un Aramis qu'elle ne connaissait pas. Il était toujours cet homme outrageusement beau, mais il avait perdu ce petit quelque chose qui le distinguait des autres et qui le rendait charismatique.
"Pas maintenant." se morigéna-t-elle en secouant la tête.
Avant de s'occuper de lui, elle devait reprendre ses habitudes, refaire connaissance avec la garnison et les hommes qui l'habitaient. Elle ne devait pas oublier que pour eux, elle était partie depuis plus d'un an. Sur ce point-là, Aramis avait raison ; les choses avaient changé.
La veille, Athos et Porthos étaient revenus peu avant midi, lui ramenant sa malle, et avaient voulu lui tenir compagnie. Ils avaient, eux comme elle, des tonnes de questions, mais ils étaient épuisés par une nuit de garde et elle avait bien trop de choses à leur demander. Elle avait eu pitié d'eux et les avait renvoyés. Les questions attendraient.
Elle avait passé une partie de la journée à ranger ses affaires et à vérifier le double-fond de la malle. Valériane n'avait pas menti, elle n'avait touché ni au matériel médical, ni aux boîtes de café soluble. Tout ce qui lui était indispensable étaient là, bien rangés dans des compartiments distincts. Le nécessaire pour sauver une ou plusieurs vies, mais aussi pour que sa fille vive dans un monde certes non pollué, mais qui était un bouillon de culture. Ensuite, elle s'était rendue chez Constance pour prendre des nouvelles de Charly. Elle ne voulait pas rester à la garnison, tant la tentation était grande d'entrer dans l'infirmerie.
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Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers Toi
FanfictionQuelque chose ne tourne pas rond dans le monde de Skye. En dehors du fait qu'elle ne se sent plus chez elle au 21ᵉ siècle, en dehors du fait qu'Aramis lui manque, il y a autre chose de plus pernicieux. Quand elle comprend enfin ce qui se passe, sa d...