Chapitre 12

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          Elle avait fait toutes les boutiques de la ville pour trouver sa robe. Une magnifique création d'un grand couturier qui lui allait à ravir, à la fois moderne et sobre, en satin couleur ivoire. Une coiffeuse avait passé un temps fou à discipliner ses épaisses boucles rousses en un chignon travaillé et son maquillage discret mettait en valeur l'émeraude de ses yeux. Les doigts refermés sur son bouquet de roses au ton pastel, elle levait un regard énamouré sur l'homme qui, dans quelques instants, serait son époux pour le restant de ses jours...

C'était le plus beau jour de sa vie !

En théorie...

Un bruits de pas précipités résonnant sur le sol en pierre de l'église la ramena à la cruelle réalité. Elle portait sa tenue de tous les jours, sur laquelle elle avait jeté sa cape en laine. Le bouquet, elle ne s'était même pas donné la peine de le chercher. En décembre, à Paris, c'était déjà difficile de trouver des poireaux, alors des roses ! Constance avait cependant insisté pour lui faire un joli chignon et c'était le seul effort qu'elle avait consenti.

Quant au regard qu'elle posa sur Aramis qui avançait rapidement jusqu'à l'autel, il était plus frustré qu'énamouré.

À part le prêtre, qui rota sans discrétion un trop-plein de vin de messe dont il avait visiblement abusé, il n'y avait que les inséparables et Constance, Tréville n'ayant pu se libérer. La porte de l'église était restée grande ouverte, sous peine de nullité du mariage lui avait dit Athos, et il faisait un froid polaire. Ça n'aurait pas changé grand-chose de toute façon. Il faisait toujours froid dans les églises. La chaleur, c'était la prérogative des enfers.

Aramis s'arrêta à ses côtés sous le regard furieux de la petite assemblée. Ils l'attendaient depuis une heure et le prêtre, encore assez lucide, avait menacé d'annuler la cérémonie. Athos avait sorti une bourse et l'homme de Dieu s'était acheté une dose de patience supplémentaire.

Skye soupira. Ce mariage de raison allait coûter cher. En une semaine, Aramis avait dû trouver un officiant pas trop gourmand qui accepterait de les marier avec uniquement la promesse que, oui, les trois bans avaient été clamés, mais que, malheureusement, le curé qui les avait faits dans ce petit village mis en quarantaine à cause de la peste, n'avait pas pu les lui remettre. Un mensonge énorme à un homme de Dieu qui avait dû, lui aussi, lui couter cher.

En regardant ce prêtre, Skye se dit qu'il avait mis la main sur une perle rare. Sa toge en toile brute était couverte de tâche et il chancelait derrière son pupitre où était ouverte une énorme Bible. Saoul, pas très regardant, mais gourmand, à n'en pas douter.

La bourse d'Athos s'ajoutait au prix de ce modeste mariage, et elle ne savait vraiment pas comment elle allait pouvoir le rembourser. Il ne lui restait que cinq livres sur les dix qu'elle avait emmenés, et connaissant la pingrerie du roi à l'égard des mousquetaires, elle aurait besoin de cet argent pour faire vivre le ménage.

— Pouvons-nous commencer ? bafouilla le prêtre.

Aramis hocha la tête et l'homme se pencha sur sa Bible en pinçant les lèvres. Skye, elle, ne quittait pas son futur mari du regard, sentant la moutarde lui monter au nez. Il puait le parfum. La cause de son retard était une femme.

— Tu vas me payer ça, marmonna-t-elle entre ses dents.

Il lui jeta un bref regard d'excuses, pendant que le prêtre commençait à psalmodier en latin.

— Désolé pour le retard, lui répondit-il sur le même ton.

— Ah ouais ? Il s'appelle comment ton retard ? grinça-t-elle un peu trop fort.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant