Chapitre 14

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Blottie dans ses bras sous les couvertures, elle dormait profondément. La nuit commençait à tomber et le feu dans la cheminée dessinait des ombres sur le plafond et sur les murs, donnant à ses longs cheveux défaits les nuances chaudes des sous-bois d'automne. Elle sentait le muguet et il sourit.

Lui n'arrivait pas à dormir. Se retrouver là, son corps lové contre le sien était une erreur. Encore une... 

Il ferma les yeux. Épouser Skye était un acte réfléchi, bien avant de savoir que l'enfant qu'elle portait était le sien. C'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour qu'elle soit à l'abri du déshonneur, comme l'avait été sa mère, mais aussi pour qu'elle puisse toucher une pension de veuve qui lui permettrait de vivre correctement s'il lui arrivait quelque chose. S'il l'avait abandonné la veille, c'était pour éviter ce qui s'était inévitablement passé cet après-midi. Il ne pouvait lui résister. Le pouvoir qu'elle avait sur lui dépassait de loin celui de toutes les femmes qui avaient jusqu'ici conspiré pour le mettre dans leur lit. Skye ne lui appartenait pas, il n'appartenait pas à Skye. Ils s'appartenaient l'un l'autre. L'amour avec elle était une communion des corps, mais surtout de l'âme qu'il n'avait jamais ressentie avec aucune autre.

Il était très sélectif dans le choix de ses maîtresses, et il défiait quiconque de lui donner le nom d'une seule d'entre elles et il prenait garde que ces femmes ne voient pas en lui un trophée, mais l'instrument d'un désir que leur mari était incapable de leur donner. Il aimait les femmes, mais il refusait d'être leur "chose". En satisfaisant ses propres désirs, il les comblait elles, et la discrétion était un contrat tacite, à compter du moment où il entrait dans leur chambre.

Jusqu'à cette nuit maudite. Cette nuit où il aurait dû mourir...

Il passa une main sur ses yeux, soupira et se dégagea du bras posé sur son torse avec précaution. Il se leva, ramassa son caleçon et sa chemise perdus parmi la pile de vêtements éparpillée sur le sol et les enfila avant de quitter la chambre, dont il referma doucement la chambre, non sans avoir observé la femme qui dormait. Sa femme.

Il alla immédiatement jeter une buche dans la cheminée, puis, à la lumière des flammes, il prit une bouteille et un verre qu'il posa sur la table. Il ramassa la clé et l'assiette abandonnées sur le parquet. Il finit par aller jusqu'à la fenêtre et s'apprêtait à fermer le volet quand un corbeau, perché sur un toit, croassa, attirant son attention.

Irrémédiablement, il se retrouva sur la vaste plaine couverte de neige.

Il cilla. Maudits oiseaux de malheur !

Il ferma vivement le volet et alla s'assoir, se versa un verre de vin, mais les croassements sinistres continuèrent à résonner à ses oreilles. Il gémit, ferma les yeux et, les coudes posés sur la table, il pressa ses mains sur ses oreilles, dans une tentative vaine de les faire taire.

Depuis qu'il était revenu, il n'avait plus rien caché des femmes qui partageaient son lit. Il savait à qui elles appartenaient, et il savait que leur mari, où leur amant, viendrait lui demander des comptes. Combien de matins avait-il quitté une femme pour aller au Pré-Aux-Clerc affronter le mari ou l'amant de celle de la veille ?

Jusqu'à ce qu'elle revienne... Sa belle sorcière aux yeux de chat qui hantait ses nuits.

Quand il arrivait à dormir !


          Derrière lui, Skye sortit de la chambre, resserrant son châle sur ses épaules. Il ne l'avait pas entendu, alors qu'autrefois, la moindre respiration l'alertait. À moins qu'il ne l'ignore à dessein ? Elle baissa les yeux. Il avait envie d'être seul pour réfléchir. Elle devait respecter son choix. Elle ne voulait pas que ce mariage soit une prison. Elle s'apprêtait à retourner sous la couverture quand il gémit, pressant soudain ses mains sur ses oreilles, et elle se précipita vers lui. Elle savait où il était allé et il était hors de question qu'elle l'y abandonne.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant