Chapitre 23

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Assis à même le sol, recroquevillé contre un mur, il ressemblait à un mendiant comme il y en avait tant dans la Capitale. Crasseux, son manteau miteux troué de partout, il dégageait une odeur pestilentielle. Les passants s'écartaient de lui, une lueur méfiante, voire apeurée dans le regard, surtout lorsqu'ils voyaient la crécelle posée bien en évidence à côté de lui. 

La capuche rabattue sur la tête, il traînait près de la maison des Louvain depuis deux jours, attendant le moment propice pour rejoindre le logement, mais il commençait à se dire qu'il allait devoir prendre des risques. Il n'avait pourtant pas d'autres choix. Il devait accéder au logement, et à la malle de Skye. S'il avait réussi à retirer la balle et à nettoyer la plaie, il n'avait pas pu la refermer, et le manque d'hygiène que lui imposait son camouflage avait eu raison de ses précautions. Sa blessure avait fini par s'infecter et la fièvre alliée à la fatigue engendrée par son périple de plusieurs mois menaçaient à tout instant de l'emporter. Le seul endroit où il pourrait trouver de quoi se soigner, c'était cette malle. Il aurait pu rejoindre un monastère, où il savait qu'on lui aurait apporté les soins nécessaires sans lui poser de questions, mais il ne faisait confiance à personne. Tréville, comme Richelieu, avait des hommes partout.

L'écumeur des routes qui l'avait attaqué lui avait amplement facilité la tâche, et même s'il n'avait pas voulu brûler son corps, qu'il tombe dans le feu avec sa sacoche de poudre avait été providentiel. Il avait à peu près la même stature que la sienne et quand il avait réussi à le retirer des flammes, celles-ci l'avaient déjà rendu méconnaissable.

Ses vêtements étaient déjà en piteux état, et il s'était contenté de traîner le manteau du bandit dans la fange pour parfaire son déguisement. Il avait laissé ses bottes près du cadavre et enroulé ses pieds dans des lambeaux de chemises. Rares étaient les mendiants qui en portaient. Il avait laissé également sa croix, enroulée dans un mouchoir, dans les fontes avec ce qui restait de ses affaires. Tréville la rendrait à Skye, s'il lui restait un peu d'honneur. Il avait gardé la chaîne, enroulée, elle aussi, dans un mouchoir et enfoncée dans une poche de son pantalon. Il voulait garder un peu de Skye avec lui.

Ensuite, il suffisait d'attendre. Il savait que les mousquetaires le cherchaient sans relâche, et quand il les avait enfin repérés, il avait envoyé Satan à leur rencontre, avant de s'éloigner avec la haridelle du bandit.

Il avait abandonné le cheval et avait passé les portes de la capitale à pied, appuyé sur un long bâton noueux. La crécelle, il l'avait trouvée près d'un cimetière.

Son camouflage était parfait. Personne ne pouvait reconnaître le mousquetaire Aramis sous ses haillons sales et en lambeaux. Il était devenu un lépreux que personne ne voulait approcher.

Un mouvement de l'autre côté de la rue attira son attention, le ramenant à la réalité. Il faisait enfin nuit et Louvain baissait le volet de son étal, pendant que Gaspard, son apprenti, détalait pour rentrer chez lui. Quant à Skye, il ne l'avait pas vu depuis qu'il restait là, à épier la maison. Elle devait sans doute rester à la garnison, ou bien chez Constance. Elle ne risquait donc rien. Il prendrait de quoi se soigner, puis disparaîtrait comme il était venu. Pas question de la mettre en danger. Elle croyait qu'il était mort, comme les autres, et elle devait continuer à le croire.

Enfin, la lumière s'éteignit dans l'échoppe et Louvain sortit pour chercher de l'eau au puits, avant de s'enfermer avec sa femme dans l'arrière-boutique pour la nuit.

Il examina attentivement les alentours sous sa capuche. Même diminué, il restait un soldat aguerri, et il fut vite rassuré ; il n'y avait plus personne et les nuages épais estompaient la lueur du dernier croissant de lune. Alors seulement, il prit appui sur le long bâton noueux et se leva péniblement. Son mouvement réveilla la douleur de son flanc et il s'appuya contre le mur, attendit qu'elle s'atténue un peu, avant de se traîner en chancelant jusqu'à la porte. Il l'ouvrit, remerciant mentalement Éloïse d'être allergique aux grincements et d'exiger de son mari d'huiler les huisseries régulièrement. Il longea le mur jusqu'à l'escalier, tendant l'oreille. Éloïse, comme tous les soirs, incriminait son mari. La chambre du premier n'était toujours pas louée et c'était de l'argent qui ne rentrait pas dans le foyer.

Bien, qu'elle continue à crier, cela couvrirait les bruits qu'il pourrait faire en montant les marches qui, elles, grinçaient. 

Il commença la pénible ascension, s'aidant des murs pour rester debout. Lorsqu'il atteignit le second étage, après ce qui lui parut une éternité, il s'effondra sur le palier en gémissant, en sueur et pourtant glacé jusqu'aux os. La douleur faisait danser des étoiles devant ses yeux. Il douta. Il avait peut-être fait une erreur en revenant ici. Personne, absolument personne ne devait savoir que l'homme retrouvé brûlé à deux jours de Paris était celui qui lui avait tiré dessus.

Et surtout pas les mousquetaires. Ses frères... La haine lui donna un regain d'énergie. Il leva les yeux, distingua à peine la porte du logement. Encore un effort. Les médicaments de Skye l'aideraient à faire baisser la fièvre, à endiguer l'infection et à calmer la douleur. Il pourrait enfin les punir pour leur trahison. Il s'accorda le temps de récupérer quelques forces avant de se relever. Il avança jusqu'à la porte, sortit son poignard pour forcer la serrure qui céda facilement. Il posa son bâton contre le mur et trouva la chandelle, mais ses mains tremblantes peinèrent à utiliser le briquet à silex. Alors, il se souvint de la lampe de Skye. Elle la glissait sous son oreiller. Il se dirigea à tâtons jusqu'au lit, trouva l'oreiller et, dessous, la lampe.

Il trouva le bouton, appuya dessus, comme elle le lui avait montré la première fois, mais la lueur vive l'aveugla et lui brula les yeux. Il lâcha la lampe qui roula sur le plancher. Instinctivement, il se baissa pour la rattraper et s'effondra. Il jura et fit un effort pour se relever, mais l'épuisement et la fièvre eurent raison de lui, et il perdit connaissance.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant