Chapitre 10

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          Philippe s'entraînait le matin, mais à la demande de Skye, Tréville l'avait dispensé de garde. Il travaillait donc à l'infirmerie tous les après-midi.

Néanmoins, Skye lui avait demandé s'il n'avait pas un ou deux amis qui pourraient l'aider dans la tâche gargantuesque qu'était la réhabilitation des lieux. Si Hercule avait nettoyé les écuries d'Augias en un jour, il fallut à Philippe et trois de ses amis cinq jours de dur labeur.¹

Chaque soir, lorsqu'ils quittaient l'infirmerie, crottés de la tête aux pieds, Skye vouait le crétin qui les obligeait à travailler aussi dur aux mille feux de l'enfer. Elle espérait qu'il tombe malade et qu'il tombe entre les mains d'un médecin aussi incompétent que lui. Car elle ne s'y trompait pas, les médecins d'aujourd'hui n'étaient pas incompétents, ils faisaient avec les connaissances de l'époque et elles étaient limitées. L'homme qui avait rendu son infirmerie à la limite de l'insalubrité était juste un bon à rien.

Elle avait passé ces cinq jours à réparer ses erreurs, autant sur les trois patients qui restaient que sur ceux qui défilaient désormais à l'infirmerie, rassurés par sa présence, et elle n'avait pas chômé, au point qu'elle n'avait pas-même eu le temps d'aller voir Constance, et encore moins Albert Deverne, qu'elle avait pourtant hâte de saluer à nouveau.

La nuit était tombée sur ce cinquième jour et les poings sur les hanches, elle regardait le résultat, un sourire extatique aux lèvres. Elle avait libéré son dernier patient, et la pièce avait retrouvé sa propreté impeccable et sa bonne odeur, un mélange de savon et de vinaigre auquel elle s'était habituée.

Philippe finissait de ranger les pots d'herbes médicinales, qu'elle l'avait envoyé chercher deux jours auparavant, sur une étagère débarrassée des cinq centimètres de poussière qu'elle y avait découverts avec effarement. C'était comme si elle n'était jamais partie et ce sentiment la fit sourire. Comment était-ce possible de se sentir chez soi dans ce monde quand on avait connu l'électricité, le téléphone portable, internet, l'eau chaude, les douches, Ève et Dumbie ?

— Ne te penche pas trop sur la question, ma fille, soupira-t-elle.

Philippe se tourna vers elle.

— Pardon, madame ?

Elle lui sourit. Il s'adressait à elle avec une déférence qui la ravissait. À son époque, un garçon de seize ans n'aurait certainement pas eu la même attitude, mais ce n'était pas pour ça qu'elle l'aimait déjà. Elle découvrait en lui un garçon, non seulement attachant et serviable, mais aussi doté d'un esprit vif et curieux.

— Rien... je crois qu'on a fini notre journée ! fit-elle.

Il tourna le dernier pot pour que l'étiquette soit bien visible, se recula pour vérifier son travail avant de hocher la tête, visiblement satisfait. Il la rejoignit près de la porte et fit le tour de la pièce du regard. Le paravent, retrouvé miraculeusement intact, était de nouveau à sa place pour dissimuler le petit coin toilette, cachant la chaise percée qu'un des amis de Philippe, plutôt doué de ses dix doigts, avait réparée. Les lits étaient recouverts de draps immaculés, fraîchement revenus de chez les lavandières, les instruments propres et bien rangés.

Seule ombre au tableau, ses registres avaient disparu.

— Vous avez fait un travail de Titan, marmonna Philippe.

Elle tourna vers lui un regard étonné.

— Pardon ? C'est toi et tes amis qui avaient fait ça ! Moi, je me suis contentée de donner des ordres !

Il haussa les épaules.

— Sans vos ordres, cela ne ressemblerait pas à ça. Je comprends pourquoi Chardin ne tarit pas d'éloges sur vous.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant