Chapitre 13

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          Des cris provenant de la rue le réveillèrent brusquement. Il gémit, ouvrit les yeux, et les referma aussitôt. Le bruit d'une casserole qu'on cognait sur le potager ramena à la vie un pic vert dans sa tête dont il ignorait l'existence. Depuis quand avait-il une saloperie d'oiseau à la place du cerveau ? Il bascula en avant, posa ses coudes sur ses genoux et se prit la tête dans les mains.

Madre de dios ! maugréa-t-il.

La porte de la chambre s'ouvrit et il releva péniblement la tête. Skye lui jeta un regard meurtrier et se dirigea vers la coiffeuse où elle déposa le broc sans aucune douceur.

— Le déjeuner est en train de chauffer, fit-elle d'un ton glacial. Tu as le temps de faire ta toilette et de te changer.

Elle ne criait pas, mais chaque mot résonnait cruellement dans sa tête, et le pic vert s'en donnait à cœur joie.

— Je n'ai pas faim, chuchota-t-il pour ne pas énerver l'oiseau plus qu'il ne l'était déjà.

Par contre, il avait soif. Sa bouche pâteuse et sa langue qui lui collait au palais était une sensation hautement désagréable...

Elle s'approcha et le toisa d'un regard qui en disait long sur ce qu'elle pensait de lui en cet instant précis.

— Tu as avalé quelque chose hier ? À part de l'alcool, bien entendu !

Il referma les yeux, respira longuement pour tenter de calmer le pic-vert. En vain.

Por favor, gémit-il, autant à Skye qu'à l'oiseau.

— Aramis ! Tu vas manger, même si je dois te gaver pour ça !

Il lui lança un regard peu amène, mais elle ne broncha pas.

— Je ne savais pas que tu savais cuisiner, ironisa-t-il.

— Ah ah ! se gaussa-t-elle. Granny était une excellente cuisinière et j'ai beaucoup appris avec elle.

Elle ne lui dirait sûrement pas que c'était la première fois qu'elle cuisinait sur un potager et qu'elle n'était pas vraiment certaine du résultat.

— Et tu es sûre que c'est comestible ?

Elle lui adressa un sourire furibond et posa les poings sur ses hanches.

— Ne me cherche pas, Aramis, grinça-t-elle. Quand une femme passe sa nuit de noce à regarder son mari ivre mort ronfler dans un fauteuil, elle n'est pas particulièrement de bon poil...

Il éclata d'un rire sarcastique, et le regretta aussitôt. Le pic vert augmentait la cadence dans son crâne.

Maldita sea ! ¹

— Bobo tête ? susurra Skye. J'ai ce qu'il faut pour te soulager, mais tu ne l'auras que lorsque tu seras assis, propre, devant ton assiette.

C'en était assez. Il ne voulait pas manger. Il voulait se coucher et cuver son vin à l'abri, et de préférence dans le silence le plus total.

No me cabrees, Skye ! ronchonna-t-il.

Elle éclata de rire et se pencha vers lui. Il n'aima pas, le pic vert si ! Ce satané piaf se nourrissait de son malheur.

— Je t'emmerderais autant que je veux, Aramis, le menaça-t-elle.

Il soupira de désespoir. Il avait oublié qu'elle parlait espagnol. Elle lui balança une serviette.

— Lave-toi, tu pues !

Elle quitta la chambre, sans oublier de claquer la porte derrière elle. Le pic vert eut un regain d'énergie et il eut un haut le cœur. Elle allait le tuer, si le bec acéré du piaf ne le faisait pas avant ! Il fit un effort surhumain pour se lever, remerciant le ciel d'être assis et pas couché. Jamais il n'aurait pu se redresser tout seul dans cet état. Il ôta sa veste et sa chemise à gestes mesurés et les posa sur le fauteuil avant de vaciller péniblement jusqu'à la coiffeuse. Les deux mains appuyées sur la petite table, il se regarda dans le miroir accroché au mur et gémit. Une marque commençait à bleuir sur sa mâchoire. Ses yeux étaient injectés de sang et de larges cernes lui mangeait le visage. Comment avait-il pu se mettre dans cet état ? Et pourquoi ? Il inspira profondément et grimaça. Bon sang, elle avait raison, il puait l'alcool !

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant