Chapitre 24

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Skye entra dans le bureau sans frapper et Tréville et le mousquetaire avec qui il discutait se levèrent brusquement.

Elle avait une mine affreuse. Elle était blême et des cernes lui mangeaient le visage.

Elle était restée enfermé dans sa chambre pendant deux jours, mais ce soir, elle n'en pouvait plus. Elle voulait rentrer chez elle, mais elle avait quelque chose à régler avant.

Tréville congédia l'homme d'un signe de tête.

— Aramis doit revenir ici, ordonna Skye quand il fut sorti.

Il savait de quoi elle parlait. Athos avait payé le curé du plus proche village pour qu'il enterre Aramis dans son cimetière. Il avait pensé, à tort ou à raison, que ce serait insupportable pour elle de le voir dans cet état. Si elle comprenait ce geste, elle le refusait.

— Il doit reposer auprès de ses frères.

Tréville hocha la tête.

— J'ai déjà demandé l'autorisation au Roi...

— Allez vous faire foutre, vous et votre roi, cracha-t-elle. Avec ou sans son autorisation, mon mari sera enterré ici, c'est clair ? Vous avez rapatrié les corps des hommes tombés en Savoie, vous allez rapatrier celui d'Aramis.

Tréville plissa les yeux. Skye n'accordait pas beaucoup de crédits au Roi, crédit descendu en dessous de zéro depuis qu'il avait envoyé Aramis en Espagne. Il se doutait qu'aujourd'hui, elle ne se contentait plus de le mépriser. Elle le haïssait.

Quant à lui, elle l'avait expulsé la seule fois où il avait voulu lui rendre visite, la haine dans le regard. Elle le tenait pour responsable de ce qui arrivait, et peut-être n'avait-elle pas tort.

— Ta douleur t'égare, fit Athos en apparaissant.

Elle se tourna vers lui.

— Moi et ma douleur, on vous emmerde. Ça aussi, c'est clair. J'exige qu'Aramis revienne ici dans un cercueil.

C'était une chose qu'elle avait apprise. Ici, les cercueils étaient réservés aux plus riches et la majorité des mousquetaires étaient enterrés dans de simples linceuls. Les morts de Savoie avaient été rapatriés dans de simples caisses.

Elle bouscula Athos et sortit aussi brusquement qu'elle était entrée.

Athos et Tréville lui emboitèrent le pas, rejoints par d'Artagnan dès qu'elle posa le pied dans la cour. Fillon jaillit littéralement des cuisines pour poser un panier rempli de denrée sur la table, à côté de sa cape. Elle lui sourit, leva les yeux vers Serge, devant ses fourneaux, qui lui tournait le dos. Lui aussi était venue lui présenter ses condoléances, le regard voilé, la voix tremblante. Avec Filon et Philippe, il était le seul dont elle avait supporté la présence.

— Merci, fit-elle tendrement.

Elle prit la cape, la posa sur ses épaules et ramassa le panier avant de s'éloigner vers le porche, ignorant l'escorte que lui faisait les deux mousquetaires et leur capitaine. Une pluie fine commençait à tomber et elle rabattit la capuche sur sa tête, la coupant un peu plus du monde qui l'entourait.

— Où vas-tu ? s'inquiéta d'Artagnan.

— Chez moi.

Le mousquetaire lui barra le passage.

— Tu n'es pas en état de rester seule, sourit-il gentiment. Viens chez moi, Constance...

— Constance travaille et s'occupe de ton fils pour faire vivre ton foyer pendant que ton Roi vit dans le luxe.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant