Adoptons-nous

29 - doutes sous le soleil

Érika

Je me prélasse au soleil sur le transat face à la piscine, Chloé à mes côtés, sous un immense parasol jaune, esquisse des silhouettes de danseuses, depuis qu'elle m'a vue dessiner mes personnages de chorégraphie, elle m'imite. Pour nous amuser nous tentons de créer un mini spectacle qu'elle pourra danser devant son papa. Mon cœur se gonfle d'amour pour notre complicité, je suis touchée par notre passion commune. Au plus les jours passent, au moins j'envisage de partir. J'ai la hantise du retour de Nathalie, il nous reste deux semaines à partager avant que ma mission se termine.

Je n'ai pas encore osé avouer à Dan que l'on m'a proposé de passer une audition en Angleterre pour un projet de comédie musicale, ce dont je rêve depuis toujours. En conclusion, j'ai autant envie de partir que de rester... Pour la première fois de ma vie je suis divisée en deux, surtout que le spectacle signifie partir en tournée une année, sans vacances. Deux jours que je rumine, Alice, ma complice de danse, a déjà réservé un billet de train et rempli ma candidature, certaine que j'étais heureuse de sa proposition. Elle est bien loin d'imaginer que ma vie s'apprête à prendre un nouveau tournant.

Alice est plus âgée que moi de deux ans, depuis mon arrivée sur Paris nous nous sommes liées d'amitié. Devenues inséparables, nous partageons les mêmes rêves, et la comédie musicale est l'un de nos projets phares. Mais voilà, entre temps je suis entrée dans la mauvaise compagnie. Alice fût mon seul et unique soutien moral, même si elle n'était pas à mes côtés dans cette compagnie. Par chance elle n'a pas été sélectionnée, même si à l'époque elle en a pleuré toutes les larmes de son corps. Elle a compris avec le temps qu'elle y avait gagné. Je n'ai pas osé évoquer mon quotidien actuel, mon cœur qui bat pour Dan et Chloé, je donne l'impression de vivre deux vies complètement opposées : d'un côté l'amour et de l'autre ma passion. Que choisir ? Jamais je n'aurai imaginé avoir autant de doutes. À côté de moi, Chloé gigote,

- Ka ? Tu viens te baigner, j'ai trop chaud.
- Oui ma puce mais avant, tu t'enduis de crème solaire.

Chloé rechigne un peu, puis elle capitule avec une grimace digne d'une grande drama queen. Elle pourrait être actrice si elle le souhaitait. Je tartine Chloé de produit, tout en rêvant de vivre à ses côtés pour toujours. Rien que d'y songer, j'en ai les larmes aux yeux. Mon cœur déborde d'amour pour cette petite fille et mon cœur s'emballe. Chloé m'observe songeuse :

- Ka ? Tu vas bien.

Cette petite est si empathique qu'elle détecte le moindre changement de mes émotions. C'est déroutant.

- Oui.

Chloé n'est pas satisfaite de ma réponse, l'expression de son visage reste songeur avec une petite moue adorable. Comment ne pas aimer cette enfant ? Je pose le tube de crème, me lève, Chloé me suit comme son ombre. Elle saute dans la piscine sans m'attendre. Je m'assois sur le bord du bassin, une habitude prise avant de me mouiller complètement. J'admire la vue mer, avec les presqu'îles qui se dessinent fortement aujourd'hui. Chloé ne cesse de remonter pour sauter de nouveau en rigolant, la contempler ainsi m'aide à demeurer positive. Pourtant, je cogite, de nombreux questionnements ne cessent de m'envahir. Partir, rester, mon cœur est divisé en deux. Dans un choix comme dans l'autre je serai perdante, ne pas réaliser mon rêve ou abandonner deux personnes que j'aime profondément.

Un bruit de pas derrière moi me surprend, pas le temps de me retourner que je me retrouve dans l'eau. Lorsque j'émerge, j'entends le rire de Chloé.

- Papa !!! Tu es rentré plus tôt. Trop bien.

Trop bien c'est cela, vexée d'être surprise de la sorte, je nage en râlant.

- Ne fais pas la tête.

Dan et ses répliques me font lever les yeux au ciel d'exaspération. Ce n'est pas lui qui me met en colère mais toutes mes hésitations ! Garder secret le  passage d'une audition ne m'est jamais arrivé, habituellement je crie haut et fort qu'une opportunité de dingue me tombe dessus. Mon attitude n'est plus la même depuis que j'ai atterri dans cette maison.

Dan me fixe depuis tout à l'heure, vu son expression il se doute que quelque chose me perturbe, ce qui me dérange encore davantage. Etre aussi transparente me déplaît tellement que ma mauvaise humeur pointe le bout de son nez.

- Ton téléphone sonne depuis tout à l'heure, signale Dan.

Il ne manquait que ça. C'est Alice j'en suis certaine, elle n'a pas l'habitude que je tarde autant à lui répondre. Cette sensation d'être prise au piège me met mal à l'aise. C'est avec la tête des mauvais jours que je sors de l'eau, saisis rapidement ma serviette pour m'enrouler dedans, récupère mon portable posé sur la petite table et décroche enfin.

- Érika, il est temps que tu décroches, j'ai cru que tu boudais. Bon j'ai tes billets pour dans deux semaines.

Impossible de répondre à Alice, ma gorge se serre, mon cœur accélère, c'est la panique qui me gagne d'un coup. La fin de la parenthèse enchantée me tombe dessus comme un coup de massue.

- Allo, Érika ? Tu vas bien ?

Pour éviter de paniquer davantage mon amie, quelques mots sortent enfin de ma bouche.

- Oui, oui. Désolée, je viens d'être poussée dans la piscine, le temps de récupérer mes esprits. Tu disais ?

Alice me connaît par cœur, elle comprend rapidement que je lui cache quelque chose.

- Ça va ?

Pourquoi ai-je un entourage qui me décode aussi bien.

- Oui, oui. M'empressé-je de répondre.
- Mwouais tu me caches quelque chose je te connais, j'ai l'impression que tu n'es pas7 emballée par l'audition.

- Si si, bien sur que si, c'est notre rêve à toutes les deux.

J'attire le regard curieux de Dan. Merde ! Il ne manquait plus que ça. La panique me gagne, mes mains tremblent. Conserver de la contenance me demande un effort.

- Alice je peux te rappeler plus tard ? S'il te plaît.
- Oui bien entendu. Prends ton temps. Appelle moi vers vingt heures je serai disponible. Je t'envoie ton billet de train.
- Ok. Merci beaucoup. On va tout déchirer.
- Oh que oui, j'ai hâte. J'attends ton appel.