BLOWER SOUL

Chapitre 2 - Oooh Jaja !

- Tu sais, il paraît qu'il a couché avec Leslie dans les toilettes dès le premier jour.

Le lendemain matin, Marla est intarissable sur le sujet « Jaya Mendes ». Pas que cela m'intéresse, mais Marla a au moins l'intérêt de me divertir.

Nous faisons le chemin ensemble en direction du lycée, ce dernier se trouvant à seulement quelques rues de mon appartement. Marla habite encore quelques blocs plus hauts et la marche lui permet d'évacuer ce trop-plein d'énergie en elle. D'ailleurs présentement, elle gesticule dans tous les sens, passe devant moi, se remet à mes côtés, ou s'arrête parfois pour obtenir davantage mon attention. Une vraie mise en scène à elle toute seule. Elle est surprenante, directe, solaire ! Je l'adore.

- Thomas les a vus se rouler une pelle devant le lycée hier soir ! Si ça, ce n'est pas une preuve, s'excite-t-elle.

- Marla... Tu veux sortir avec Jaya ?

La voilà plantée au milieu du passage piéton, une main sur le cœur et la bouche grande ouverte, comme si je venais de piétiner son bébé chat. Je reviens sur mes pas, l'attrape par le bras pour l'inciter à avancer, refusant qu'elle se fasse écraser par un automobiliste New-Yorkais. Elle me fait rire avec son expression horrifiée, qui est finalement plus comique que dramatique grâce à son petit nez rougi par le froid de ce mois de février.

- Là, Saori, tu me déçois ! Tu sais que je ne fais pas dans l'homme facile.

Je glousse tellement c'est bon, car le pire c'est qu'elle le pense. Marla est une cérébrale et ressent le besoin d'être attirée par la personnalité et l'esprit d'un garçon - ou d'une fille peut-être aussi - pour se laisser tenter. Quoi que maintenant que j'y réfléchis, s'est-elle déjà laissé tenter ?

L'on pourrait dire qu'elle est féministe et son rejet du chromosome Y est parfois à la limite de l'intolérance et j'aime la taquiner à ce sujet. Car je sais que Marla est une belle personne et sa posture critique envers les hommes est davantage rhétorique qu'haineuse. Je ne sais pas réellement si elle est attirée par les hommes, les femmes ou même des individus moins binaires. Le fait est qu'elle semble ne tolérer que ma pauvre personne et rejette d'autant plus fortement le reste du monde. Notre duo est infranchissable, inviolable... du béton armé que mes admirateurs s'acharnent à faire tomber. Alors que Marla de son côté prend un malin plaisir à tourmenter ces pauvres âmes manipulées passivement par mon don, en les repoussant, plus au moins aimablement.

Le don passif est quelque chose que je ne m'explique pas. Mon don semble avoir une intervention sur les personnes qui croisent mon chemin. Cet élément m'est apparu lorsque j'ai justement cessé de souffler à tout va. L'intention de manipuler est une chose et l'attraction que je crée involontairement, en est une autre. Même sans souhaiter la manipulation, mon don échappe à mon contrôle. Comme si celui-ci irradiait de mon corps en des phéromones puissantes. Attirant les personnes à moi, les faisant m'idolâtrer telle une reine. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cela n'a pas que des avantages. Plus que jamais aujourd'hui, je souhaiterais être aimée pour moi-même. Mais cela n'arrivera pas. Car je suis le metteur en scène derrière le rideau. Je regarde les autres jouer mes scénarios, ne faisant jamais partie de la scène.

Mon don est-il d'origine génétique ? Présent déjà à l'origine dans le ventre de ma mère ? Suis-je humaine ? Même sans être prononcée à voix haute, cette dernière interrogation me révulse. Renforçant le dégoût que m'inspire ce corps qui m'a été livré sans la notice d'utilisation et que je peine à accepter comme mien.

Une douleur diffuse irradie mes tempes. Le signal m'indiquant qu'il est temps d'arrêter de me torturer. La question de mes origines est à la fois simple par sa traçabilité et complexe par sa compréhension. Car ce serait comme essayer de déterminer qui est arrivé en premier. L'œuf ou la poule ? Le don ou l'humain possédant le don ?