« J'ai trouvé ma robe ».
Voici le message que j'ai envoyé à Jaya hier soir. Il y a à peu près dix heures. Et auquel il n'a toujours pas répondu.
Ce n'est pas normal...
Je tente de me remémorer les fois où il n'a pas répondu à l'un de mes messages dans l'heure. Et la réponse est simple... jamais.
Y a un truc...
Ça me stresse. Il est huit heures du matin et Jaya a forcément allumé son portable à l'heure qu'il est. Je fais les cent pas au croisement de la 64e avenue tout en mordillant mon pouce entre mes dents. Ce dernier est déjà rouge-écarlate et me brûle. Mon cou n'est pas en meilleur état. Eczéma et anxiété ne font pas bon ménage.
- C'est bon, Saori, il ne viendra pas ce matin. On y va !
Marla tente de m'inciter à continuer notre route en direction du lycée, mais je crois que je suis prête à prendre le risque d'être en retard juste pour ne pas trimballer cette sensation désagréable toute la journée.
- Encore cinq minutes, je marmonne, le pouce toujours entre mes dents et tournant sur moi-même par peur de le rater.
Ma meilleure amie soupire, se désolant probablement de mon attitude puérile de gamine amoureuse. Mais cela n'a rien à voir avec des sentiments qui me rendraient immature. C'est comme si je pressentais quelque chose. Un sentiment m'oppresse la poitrine et je déteste cela.
Marla s'éloigne doucement tout en me lançant des regards compatissants. Je sais qu'elle a raison. Je ne peux pas passer la journée ici à l'attendre. Je marche à reculons pour la rejoindre, fixant des yeux Lincoln Park. Et je sais désormais que cette journée sera interminable.
****
Il est 17 heures et je sonne à l'interphone de l'immeuble de Jaya. L'angoisse m'essouffle et fait trembler mon doigt qui presse le bouton argenté à côté du nom Walters. J'ai tergiversé, hésité et finalement je suis là. À venir vérifier s'il va bien. C'est ce que nous avons toujours fait, n'est-ce pas ? Être là l'un pour l'autre. Savoir que notre différence ne nous met pas en danger, que le venin n'est pas sur le point de nous dévorer.
- Allo ? me répond une voix féminine.
Étonnement, je m'attendais à ce que ce soit Jaya qui me réponde. Je demeure donc quelques instants la bouche ouverte.
- Bon... bonjour, Madame. Est-ce que Jaya est là ?
- Non.
Le ton de la femme n'est pas aussi dur que sa réponse le laisse penser. Elle semble plutôt résignée, abattue.
Mais où peut-il bien être, bon sang...
- Je suis Saori. Pourriez-vous lui dire que je suis passée ?
- Bien sûr, Saori.
Ces mots me réchauffent quelque peu le cœur. Elle prononce mon prénom comme s'il lui était familier. C'est doux et chaud à travers le haut-parleur, mais aucunement suffisant pour m'apaiser. Je fixe le haut-parleur quadrillé fait de lignes creuses et pleines derrière lesquelles se dissimule cette voix féminine. La femme ne dit plus rien et je suis tout aussi silencieuse qu'elle. A-t-elle raccroché ? Non ! non !
- Attendez ! Est-ce qu'il va bien ?
- Pas vraiment, il.... il t'appellera lorsqu'il sera prêt. Au revoir, Saori.
J'ouvre la bouche et la referme lorsque cette fois-ci je constate que la mère de Jaya a bien mis fin à la communication. Du moins, je présume qu'il s'agissait de sa mère. Désorientée, je demeure devant l'interphone, désirant une suite qui ne vient pas. Espérant que la voix de Jaya traverse à son tour ce haut-parleur que je fixe inexorablement.
Prêt ? Est-ce bien ce qu'elle a dit ? Il n'est donc pas souffrant ?
Mon impuissance se transforme en une profonde tristesse. Je lève la tête, balayant la haute façade de l'immeuble, jusqu'à ce que mes yeux aient des difficultés à accommoder. Je devrais suivre les conseils de Mme Walters et rentrer chez moi. Mais je m'imagine m'élever dans les airs et voler jusqu'à la fenêtre de celui qui chuchote à mon cœur. Lui prouver que je peux être là dans les moments difficiles et illuminer ceux qui suivront. Mais ça, c'est la version édulcorée de Disney, car aujourd'hui Tinkerbell a les ailes cramées et Peter Pan se dore probablement la pilule sur une plage des Bahamas.
Dans la réalité, mon corps est aussi lourd que mon cœur, alors que je traîne dans les rues de New York. Je me sens étrangement courbaturée et les pires scénarios prennent forme dans mon esprit. Cette impossibilité d'agir me rend folle. M'imaginer Jaya blessé par son père est insupportable et crée chez moi des réactions épidermiques insoupçonnables. Cela me bouffe, alors qu'une pulsion remonte le long de mon échine, m'intimant de me jeter sur M. Walters pour lui arracher ce rictus mauvais de ses lèvres.
Je suis finalement de retour à la maison sans m'y être dirigée consciemment. L'esprit noyé par mes sentiments, je suis désorientée, mais enfin en terrain familier. Monter dans l'ascenseur, tourner la clé dans la serrure de la porte d'entrée et tomber sur ma mère qui lit un roman dans le fauteuil...
C'était gravé dans le marbre. Cette journée est vraiment merdique. Hey ! Vous, qui êtes là-haut ? Vous m'en demandez décidément trop.
Je balance mes clés sur la table du salon en un claquement bruyant, tout en soupirant d'épuisement. Je me laisse choir sur une des chaises positionnées autour et fixe la pendule en face de moi, la trotteuse accaparant toute mon attention. Je regarde l'aiguille tourner et égrèner l'horloge du temps, tout en sachant pertinemment que ma mère s'installe sur la chaise à côté de la mienne. Tant que je ne dirige pas mon regard dans sa direction, elle n'existe pas. Mais c'est sans compter sur sa main qui caresse mon dos en des mouvements circulaires et apaisants.
Bon sang... ce n'est pas censé me faire du bien. Il n'a jamais été question qu'elle remplisse ce rôle.
Un sanglot m'échappe. Tout m'échappe. Une journée sans voir Jaya. Une seule petite journée et je m'écroule.
Ce soir, ni ma mère ni moi ne prononçons un mot. Ils ne sont pas nécessaires pour comprendre que notre relation se transforme. Une évolution mesurée, presque indécise et même déchirante. Le tic-tac de l'horloge, sa main qui caresse mon tee-shirt en coton blanc. Notre silence est criant de vérité et je pense être prête à l'accepter.
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BLOWER SOUL
RomanceJe suis Saori, j'ai 17 ans, je suis new-yorkaise, star de la danse sur Tiktok et... je vous manipulerai pour assouvir tous mes désirs. Je saurai vous rendre accro et docile, comme vous faire pleurer tel un bébé arraché trop tôt au sein de sa mère. ...